Voyage au Congo
quadrilobées autour d’une fine tubulure. Arbuste semblable, port, feuilles et fleurs, au laurier-tin. Parfum : une concentration de chèvrefeuille.
4 décembre.
Quitté Bouar ce matin assez tard, car nous attendons de nouveaux porteurs ; et Labarbe, arrivé hier soir, doit repartir avec nous ; mais lui pour Carnot, nous pour Bosoum. Nous avions réglé hier nos porteurs, pour leur permettre de repartir ; mais nous ne savions pas qu’ils avaient reçu un franc d’avance, de l’administration, pour leur nourriture. Nous n’aurions donc dû leur donner que trois francs et non quatre, et de plus nous n’avions pas, nous dit Labarbe, à payer leur manioc, pour lequel je comptais environ cinquante centimes par jour et par homme {63} . Labarbe affirme qu’ils ne dépensent quotidiennement pas plus de vingt-cinq centimes pour leur nourriture. Me voici bien loin du temps si proche où, à Port-Gentil, j’étais près de m’indigner que l’État n’accordât que sept sous par jour pour chaque prisonnier. Les porteurs sont payés un franc par jour par l’administration (et non un franc vingt-cinq, comme je croyais d’abord), cinquante centimes par jour lorsque immobilisés, et vingt-cinq centimes par jour de retour. En général moitié moins de temps compté pour le retour que pour l’aller.
Parfois ils portent une ceinture de cuir ou de corde, qui trace un simple trait sur la peau noire, suivant exactement le pli de l’aine ; un lambeau d’écorce brune ou rouge, ou de toile couvre étroitement le sexe, puis fuit entre les jambes et va rejoindre au-dessus du sacrum, la ceinture qui le tend. Cela est d’une netteté de dessin admirable. Parfois cette écorce, très belle de ton, s’épanouit par-derrière en corolle.
Tam-tam intime, hier soir, dans la nuit très obscure, car la lune n’est pas encore levée. Une douzaine de jeunes garçons réunis pour une petite danse sans conséquences. Feux en plein air, devant les cases, au camp des gardes. Prolongation de la soirée. Et, pendant que nous nous attardions près des foyers, Zézé et Adoum se laissaient rafler au jeu, par les gardes, tout l’argent de leur mois que nous venions de leur remettre. Même, Adoum perdait la paie du mois précédent, qu’il avait soigneusement réservée, qu’il croyait sincèrement (je le crois) pouvoir remettrebientôt à sa mère, à Abécher où il l’a laissée, voici quatre ans.
Ces gardes ont attendu, pour faire leur coup, le dernier soir, se doutant que, pressés par le départ, nous serions trop occupés ce matin pour enquêter sur cette affaire. Et de fait nous étions déjà loin de Bouar lorsque Adoum, que je voyais triste et que j’interrogeais, s’est confessé. J’ai tâché de le persuader qu’il s’était conduit comme un idiot, qu’il s’était fait rouler par des joueurs malhonnêtes, et que ces gardes étaient des tricheurs. Il s’amuse beaucoup de ce dernier mot, qu’il ne connaissait pas encore.
5 décembre.
Épais brouillard, ce matin ; on avance dans les hautes herbes trempées d’un chemin mal frayé. Ce n’est que passé dix heures que le soleil parvient à triompher des nuées et rétablit un ciel admirablement pur. Contrée sans grand intérêt. Hier les villages, une heure après Bouar, se sont succédé tous les deux kilomètres environ. C’est une région mal soumise, et nous nous attendions à beaucoup de mauvais vouloir. Il est vrai que certains villages sont à demi désertés. Devant notre venue (against) beaucoup d’indigènes craintifs se sont égaillés dans la brousse. Mais combien ceux qui restent sont faciles à ressaisir, dès qu’ils comprennent qu’on ne vient pas chez eux pour leur dam. Et, comme les nouvelles se transmettent vite, de village en village, les habitants se présentent toujours plus nombreux et leur accueil se fait plus chaud. Flatteuse impression de regagner ce peuple à la France.
C’est à l’espacement des arbres d’un verger, aux pommiers d’une cour de ferme normande, aux ormes, soutiens des vignes en Italie dans la région de Sienne, que j’aurais dû comparer le clairsemé des arbres dans la savane que nous traversons depuis tant de jours ; dont les hautes graminées noient les troncs. Et j’admire la constance de ces arbres, de résister aux incendies périodiques. Aujourd’hui l’espacement beaucoup plus grand des arbres fait la seule modification de ce paysage, d’une désespérante monotonie. Le village
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