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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
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d’eau » ; et, derrière moi, le plus étrange mélange d’herbes et d’eau qui se puisse rêver ; de nouveau cette énormité, cette informité, cette indécision, cette absence de parti pris, de dessin, d’organisation qui m’affectait à l’excès dans la première partie de notre voyage et qui est bien la caractéristique majeure de ce pays. Mais ici cette perplexité de la nature, cette épousaille et pénétration des éléments, ce blending du glauque et du bleu, de l’herbe et de l’eau, est si étrange et rappelle si peu quoi que ce soit de nos pays (sinon peut-être certains étangs de la Camargue ou des environs d’Aigues-Mortes) que je n’en puis détacher mes regards.
     
    En panne depuis le lever du soleil, nous devons attendre, jusqu’à près de midi, abrités entre des îlots de papyrus, que le vent soit un peu calmé. Le vent n’est du reste pas très fort – il paraîtrait à peine brise auprès du sirocco, du mistral. Les touffes de papyrus sont d’un admirable ton de vert-roux ; la mer du Tchad d’un glauque blondissant. On enlève les deux baleinières de nos côtés pour les attacher à notre remorque…
     
    Après trois heures environ de traversée, voici les îles de l’autre bord. Les papyrus alternent avec des buissons à fleurs jaunes, à peine plus élevés que les papyrus (des papilonacées, semble-t-il ?) où grimpent parfois de grands liserons mauves – et des roseaux gigantesques, semblables à ceux que nous appelons « l’herbe des pampas », porteurs de grands panaches gris de chanvre, de la plus grande beauté.
    J’admire l’effort de tant de végétaux des contrées équatoriales, vers une forme symétrique et comme cristalline, insoupçonnée dans nos pays du Nord où Baudelaire peut parler du « végétal irrégulier ».
    Papyrus, palmiers, cactus, euphorbes-candélabres, se développent autour d’un axe et selon un rythme précis.
     
    Nous avons jeté l’ancre devant une île inhabitée, la passe sur laquelle comptait le capitaine, pour gagner Bol, s’étant trouvée obstruée. Le soir tombait. Nous avons mis pied à terre, mais sans nous écarter beaucoup du point d’atterrissage, car en un instant nous eûmes les jambes pleines de petites graines très piquantes, qu’on ne peut même enlever sans risquer de s’enfoncer douloureusement leurs dards dans les doigts, où ils se brisent et déterminent desabcès {77} . Du reste le paysage n’offre aucun intérêt, sinon, dans cette vaste pelouse sèche que nous parcourons, un végétal bizarre, plante devenant arbuste, à feuilles très larges, d’un gris verdâtre très délicat, épaisses, tomenteuses (je veux dire couvertes d’une épaisse peluche). La fleur est d’un assez beau violet pourpre, mais très petite.
     
    Nuit pas trop froide ; mais l’équipage va dormir auprès de grands feux, à cause des moustiques. Arrêt dans une île, peuplée de chèvres blanches. On ne comprend pas ce qu’elles peuvent trouver à manger, car le sol n’est qu’une arène aride, semée parcimonieusement de cette étrange plante-arbuste, que je décrivais tout à l’heure, dont le feuillage vert-de-gris fait avec la blancheur des chèvres une harmonie exquise. Quantité de chèvres sont attachées par une patte à un pieu fiché dans le sable. Ce sont celles, je crois, que l’on se propose de traire, qu’on ne veut point laisser téter par les chevreaux. Non loin, quelques cases, qui semblent plutôt des abris provisoires ; quelques indigènes d’aspect misérable et hargneux. Le capitaine du navire a grand-peine à obtenir de l’un d’eux qu’il nous accompagne pour nous piloter parmi les îles. Pourtant on nous apporte quatre œufs et une jatte de lait. Le capitaine prend un cabri ; on peut presque dire s’en empare de force ; pourtant il laisse cent sous en échange ; mais le vendeur réclame encore deux francs que le capitaine se résigne à donner. C’est la première fois que je vois un indigène défendre son prix, ou même « faire » son prix. On nous avait bien dit que les habitants de la région de Bol étaient « rétifs ». Ailleurs, quoi que ce soit et si peu qu’on leur donne, ils acceptent sans protestation. Avant-hier, un de nos tirailleurs, (le sergent) payait cinquante centimes un poulet, dans le petit village où nous nous étions arrêtés. Je lui ai dit que c’était un prix d’avant-guerre et que désormais il devrait payer le poulet un franc. Il se

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