Voyage en Germanie
Quinzième, elle, avait rompu ses engagements jusqu’à la gauche. Justinus poursuivit sur ma lancée du ton paisible et courtois qui lui était propre.
— Que t’est-il arrivé ?
— J’ai été blessé. On m’a évacué par bateau pendant le temps mort qui a suivi l’arrivée de Vocula. Je suis resté hospitalisé à Novæsium jusqu’à ce que la ville se fasse attaquer aussi. J’ai fini tout gémissant sur une civière, dans un poste de soins qui avait pu être installé à Gelduba, à bord d’un chaland. J’y suis resté tout le temps qu’a duré le dernier assaut de Civilis sur Vetera, et l’épisode qui a suivi.
Les conséquences étaient manifestes, et compréhensibles : le survivant se sentait coupable de la mort de la plupart de ses camarades. Il se sentait même à demi coupable de ne jamais avoir prêté serment d’allégeance à l’Empire gaulois et perdu son honneur comme les autres.
— Je suis déchu de mon commandement ?
— Non, décréta Camillus Justinus. C’est dans la Première Adiutrix que tu sers à présent.
— Nous avons besoin de toi, ajoutai-je. Surtout si tu connais parfaitement le territoire.
— Je le connais mieux que ça.
— C’est-à-dire ?
— Je suis déjà allé dans l’est.
Sa réponse m’interloqua.
— Raconte-nous ça, centurion.
— Je suis resté stationné dans ce trou perdu pendant quatre ans, Falco. Tout le monde avait besoin d’un passe-temps : l’endroit a toujours été un poste reculé. Le jeu, les bandes de fanfarons, ça ne m’a jamais rien dit. En revanche, j’en suis venu à m’intéresser de près à la vieille énigme de Varus. J’en ai lu le récit. Je réservais mes jours de permission et je me glissais sur place… illégalement, bien entendu, mais tout était plus calme, à l’époque. J’étais curieux de connaître ce champ de bataille, fasciné par l’idée de le découvrir.
Voilà donc ce qu’il avait en tête lorsqu’il parlait de parties de chasse organisées pour des tribuns. Les soldats adorent oublier leurs propres soucis en revivant des guerres passées. Ils cherchent toujours à savoir ce qui arriva réellement à leurs prédécesseurs. Avait-il été question de traîtrise de la part de l’ennemi, ou s’agissait-il d’une nouvelle manifestation de la bêtise pure des officiers qui commandaient ?
— As-tu localisé l’emplacement ? demandai-je.
— J’étais sûr d’être tout près. Archi sûr.
Je n’ai jamais vraiment apprécié les types qui nourrissent une idée fixe.
— Dubnus le sait, lui, glissai-je perfidement.
Helvetius lâcha un léger sifflement agacé.
— Laisse tomber, repris-je avec un grand sourire. Il s’agit là d’une énigme que nous pouvons laisser à l’illustre Germanicus. Qu’ils reposent en paix, mon vieux. C’est une catastrophe qui appartient à nos grands-pères. Vespasien nous a confié assez à faire, et pour le moment, je n’ai pas l’intention d’aller faire un tour dans la forêt de Teutobourg.
Quoi qu’il en soit, Helvetius avait l’air plus détendu maintenant que nous avions parlé. Je me laissai alors convaincre d’aller faire des recherches dans l’Île. Sitôt en route, je compris que ce détour allait être une perte de temps. Je compris aussi qu’une fois que nous serions dans le nord, la forêt de Teutobourg à la sinistre réputation serait l’itinéraire raisonnable que nous devrions emprunter pour redescendre vers la tanière des Bructères.
Nous nous déplacions à cheval. Ce qui ne manqua pas de surprendre les recrues. Jupiter seul sait dans quel but les jeunes soldats se figuraient que nous avions apporté trente chevaux. Normalement, les légions marchent, mais les distances que nous devions couvrir étaient trop importantes pour aller à pied. Du reste, nos gars n’étaient pas vraiment habitués à marcher plusieurs jours d’affilée. Ils formaient un groupe si lamentable, en fait, que la plupart des soldats de Vetera s’entassèrent pour assister à notre départ et regarder le troupeau de nigauds choisis sur le tas que j’emmenais en territoire sauvage.
Nos gars ne valaient pas mieux que n’importe quel groupe d’adolescents : désordonnés, paresseux, geignards et vindicatifs. Ils passaient leurs journées à discuter de gladiateurs ou de leur vie sexuelle avec un stupéfiant mélange de mensonges et d’ignorance. Leurs personnalités commençaient à se faire jour, à présent. Notre gamin à problème
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