Voyage en Germanie
plus vigoureuse, mais le contenu devait être : Cet individu me fatigue.
Au temps pour la diplomatie.
Veleda dressa le menton. Elle se savait impressionnante, mais ne se donnait pas la peine d’utiliser sa beauté.
— Qu’es-tu venu dire ? lança-t-elle.
La question était directe. Cela dit, il m’était absolument impossible de répondre tout simplement : « Où est Munius, et veux-tu, je te prie, empêcher tes guerriers d’agresser Rome ? »
Je tentai le grand sourire franc.
— Je n’ai pas l’avantage dans cet échange !
Un petit farceur avait déjà dû lui sortir ce sourire-là par le passé.
— Tu n’as que ce que tu mérites.
Sa réponse m’évoqua une autre fille à poigne avec laquelle je m’étais souvent disputé.
— Ce que Vespasien m’envoie dire est crucial pour nous tous, Veleda. Ça ne peut pas se larguer sur la place publique comme une bordée de jurons dans un concours d’ivrognes. Toi, tu parles au nom de ta nation…
— Non, coupa-t-elle.
— Tu es la prêtresse vénérée des Bructères…
Veleda sourit sans un mot, d’un sourire absolument intime, dépourvu de toute connivence, qui lui donna l’air inaccessible. Puis elle répondit :
— Je suis une femme célibataire qui vit dans la forêt avec ses pensées. Les dieux m’ont donné des connaissances…
— Tes actes ne s’oublieront jamais.
— Je n’agis pas. Je me contente de donner mon avis quand les gens me le demandent.
— Dans ce cas, tes seuls avis te confèrent de vastes pouvoirs de meneuse ! Nie tes ambitions si tu veux, mais Civilis et toi avez quasiment régné sur l’Europe. Et quasiment ravagé l’Europe. Tes avis ont embrasé le monde entier comme la foudre. Peut-être avais-tu raison, mais le monde a besoin de répit à présent. Le combat est terminé.
— Le combat ne sera jamais terminé.
La simplicité avec laquelle Veleda énonça ces mots m’alarma. Si elle avait tout bonnement couru après le pouvoir comme cela se fait, ces guerriers braillards lui auraient ri au nez, et Civilis aurait été son adversaire et non son partenaire. Elle aurait sans doute réussi à dresser une fois ou deux la populace à l’aide de discours virulents, mais d’eux-mêmes, les Bructères l’auraient probablement mise au ban. Jusqu’au héros Arminius que son propre peuple avait fini par déposer. Un meneur ne recherchant pas les avantages du pouvoir était un phénomène incompréhensible à Rome. Ici en revanche, le dédain manifesté par la prêtresse à l’égard de toute ambition accroissait sa force.
— Il est terminé, insistai-je. De son côté, Rome en a terminé. Combattre aujourd’hui, c’est se précipiter contre un mur. On ne peut pas écraser Rome.
— Nous l’avons fait. Nous le referons.
— C’est du passé, Veleda.
— Notre heure viendra à nouveau.
Si assuré que soit mon ton, Veleda était sûre d’elle aussi. Elle se détournait à nouveau. Je refusai de me laisser réduire au silence par une femme qui me tournait le dos. Toute ma vie d’adulte, je l’avais passée à me faire traiter par les femmes comme un esclave de bains publics qui ne méritait pas de pourboire.
N’ayant rien à perdre, je me risquai à placer le débat sur un plan personnel :
— Si c’est ça, l’Empire gaulois tant vanté, je ne suis pas convaincu, Veleda. Civilis a mis les bouts, et tout ce que je vois ici, c’est une clairière en pleine forêt où se joue le même genre de spectacle à la noix que dans n’importe quelle foire aux chevaux. Une fille qui meurt d’envie de jouer son numéro, qui s’efforce de se faire un nom… et qui s’aperçoit en plus que sa réussite lui ramène tous les pique-assiettes de la famille qui attendent qu’elle leur fournisse un boulot… Je suis navré pour toi. Ton sort a l’air encore moins enviable que le mien.
À en juger d’après leurs physionomies impassibles, les parents de la dame étaient encore plus bouchés que je l’avais cru, ou alors ils n’avaient pas eu droit au même professeur de latin.
Elle se retourna face à moi. Fierté familiale, à mon avis. Je poursuivis plus calmement :
— Pardonne mes sarcasmes. Mes compatriotes ne sont peut-être pas très recommandables, mais ils me manquent.
La prêtresse n’eut pas l’air de saisir que les Romains étaient eux aussi des êtres humains. Mais j’avais sans doute capté son attention.
— Ton influence repose sur ta juste prophétie, d’après laquelle les légions
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