Voyage en Germanie
attentionnées à proximité… Du reste, c’est moins loin que la Bretagne, ce qui rend le contrôle d’autant plus aisé.
— Alors, Falco, que t’inspire l’idée d’aller livrer une inspection discrète ?
— À ton avis, César ? (Je m’esclaffai.) Je servais dans la Deuxième Augusta au moment de la déculottée icénienne. La Quatorzième ne manquera pas de se souvenir de quelle façon nous les avons laissés tomber.
Je sais me débrouiller dans une bagarre de rue, mais je rechignais à l’idée d’affronter six mille tueurs professionnels assoiffés de vengeance ayant une bonne raison de me réduire en bouillie tel un cloporte sur le mur d’un établissement de bains.
— Ils vont sans doute m’immerger dans la chaux et rester plantés autour avec un grand sourire jusqu’à ce que j’aie fini de grésiller !
— Il va falloir compter sur ton talent pour éviter ça, railla l’empereur.
— Qu’attends-tu de moi au juste, César ? coupai-je, révélant par là mon inquiétude.
— Pas grand-chose ! Je veux envoyer un nouvel étendard à la Quatorzième, histoire de prendre acte de leur bonne conduite ces derniers temps en Germanie. C’est toi qui te chargeras du transport.
— Ça paraît honnête, marmonnai-je avec reconnaissance en attendant de découvrir le vice caché. Donc, tout en leur remettant ce gage de ta haute estime, je tâche d’évaluer leur humeur et de voir si, oui ou non, ladite estime est appelée à durer ?
Vespasien hocha la tête en signe d’assentiment.
— Avec tout le respect que je te dois, César, si tu projettes de gommer la Quatorzième de la liste des armées, pourquoi ne demandes-tu pas au légat qui commande ces hommes d’établir un rapport dans les termes appropriés ?
— Trop compliqué.
Je soupirai.
— Ce qui signifie qu’il y a aussi un problème du côté du légat ?
— Sûrement pas, répliqua Vespasien d’un ton sans appel.
Vespasien le soutiendrait en public, à moins d’avoir de bonnes raisons de casser le type. L’idée me vint que je devais être censé lui fournir ces bonnes raisons. D’un ton plus modéré, je repris :
— As-tu des choses à me dire au sujet de cet homme ?
— Je ne le connais pas personnellement. Il s’appelle Florius Gracilis. La fonction de commandant lui a été attribuée sur proposition du Sénat. Je ne voyais aucune raison de m’opposer.
Selon un mythe en vogue, les postes publics étaient tous attribués par le Sénat, le veto de l’empereur étant toutefois irréfragable. Dans la pratique, Vespasien proposait généralement ses propres candidats, mais il lui arrivait parfois de flatter les membres de la Curie en leur permettant de nommer quelque benêt de leur choix. Il semblait se méfier de l’homme en question… mais craignait-il plutôt une corruption flagrante, ou l’inefficacité quotidienne ?
J’en restai là. Je disposais de mes propres ressources pour me rancarder sur les sénateurs. Gracilis était sans doute l’habituel crétin d’aristo effectuant son temps de service dans la légion parce qu’un poste de commandement à l’âge de 30 ans était un passage obligé du cursus publicus. Et forcément, il s’était retrouvé posté près de l’une des frontières. Écoper d’une légion en Germanie, c’était vraiment dommage pour lui.
— Je suis sûr que Sa Grâce est tout à fait qualifié pour répondre aux exigences de la fonction, commentai-je, indiquant à l’empereur qu’il pouvait me faire confiance pour jauger Florius Gracilis de mon habituel œil soupçonneux tout en lorgnant la légion de l’autre. Ça m’a tout l’air de ressembler à une de mes petites missions multiples, par le fait !
— Simplicité ! riposta l’empereur. Tant que tu seras sur place, ajouta-t-il d’un ton désinvolte, tu pourras t’employer à explorer quelques-unes des pistes que Petilius Cerialis a été contraint de laisser derrière lui.
Je soufflai un grand coup. Ça prenait tournure. N’importe quel centurion compétent de là-bas était à même d’évaluer la loyauté de la Quatorzième.
M. Didius Falco, lui, était envoyé sur les lieux pour courir en zigzags après on ne savait quelle bourrique en fuite.
— Ah ? fis-je.
Vespasien n’eut pas l’air de remarquer ma grise mine.
— Ton ordre de mission te sera délivré par écrit, assorti de toutes les autres pièces nécessaires…
Vespasien faisait rarement l’économie des discussions d’affaires. Voyant
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