Voyage en Germanie
soldats prirent parti pour le légat, et le gouverneur fut carrément contraint de fuir la province, continua mon interlocuteur.
— Par Jupiter ! Qu’advint-il donc de la Bretagne ?
— Les commandants de la légion s’assemblèrent en comité pour prendre les choses en main. La Quatorzième était bien déçue de louper ça.
Je lâchai un sifflement.
— Rien n’a transpiré de cette charmante affaire !
— J’imagine que dans un bourbier comme la Bretagne, confia Balbillus d’un ton sarcastique, les arrangements inhabituels passent pour tout à fait naturels !
Je songeais pour ma part au problème qui m’intéressait.
— En tout cas, ça signifie qu’au moment où la Quatorzième est revenue sur le continent, ses hommes avaient déjà pour habitude de s’inventer leurs propres ordres ? Sans parler de se battre entre eux.
— Tu fais allusion aux Bataves ?
— Oui, et particulièrement à leur passage à Augusta Taurinorum. Ils combattaient sous les ordres de Vitellius et ont affronté leur propre légion à Bedriacum, c’est ça ?
Balbillus cassa un nouveau bout du pain.
— Tu imagines à quel point nous étions sur des charbons ardents, juste avant le combat, en apprenant que la fameuse Quatorzième Gemina était censée approcher.
— C’était un affrontement capital, et la Quatorzième a pu s’en dispenser ?
— C’est ce qu’ils ont cru ! (Balbillus afficha un large sourire.) Ils n’ont pas même montré le bout de leur nez. Les cohortes bataves ont bel et bien combattu et remporté la bataille : en piégeant un groupe de gladiateurs dans une embuscade astucieuse sur une île du Pô. Plus tard, bien entendu, les Bataves ont monté ça en épingle. Ils venaient plastronner sous notre nez en se vantant d’avoir remis la Quatorzième à sa place, en affirmant que Vitellius ne devait la victoire tout entière à personne d’autre qu’ eux .
— Alors du coup, la Quatorzième s’est sentie obligée d’en découdre aussi publiquement que possible avec ses cohortes bataves ?
— Imagine-toi le tableau, Falco. C’était vraiment une bande de voyous couplée à une autre ; pourtant, à Augusta Taurinorum, Vitellius les a tous logés au même endroit… alors que les relations étaient déjà au point mort.
— C’est ce qui a déclenché la pagaille ? Tu y as assisté ?
— Pas moyen de faire autrement ! Un Batave a traité un artisan de tricheur, du coup le légionnaire installé chez l’artisan a balancé un coup de poing au Batave. Des bagarres de rues ont éclaté. La légion tout entière s’en est mêlée. Quand on a réussi à les séparer et à éponger le sang…
— Des cadavres ?
— Pas trop ! La Quatorzième a été renvoyée en Bretagne. En quittant la ville en formation réglementaire, les légionnaires ont allumé des incendies partout – tout à fait sciemment –, si bien qu’Augusta Taurinorum a flambé intégralement.
Inexcusable… dans des circonstances ordinaires. Cela dit, les hommes de la Quatorzième avaient beau se comporter comme des délinquants, ils ne s’étaient jamais mutinés, alors que les cohortes bataves qu’ils détestaient tant étaient passées à l’ennemi, Civilis en l’occurrence. La Quatorzième à proprement parler servait l’empereur du mois, quel qu’il soit. Vespasien pouvait bien décider qu’à présent tout ce dont ces héros primesautiers avaient besoin, c’était un commandant qui sache les mener.
— Il va lui falloir une sacrée poigne ! ricana Balbillus quand je lui soumis cette remarque. Pour leur retour en Bretagne, après que Vitellius s’était débarrassé d’eux, les soldats de la Quatorzième ont reçu l’ordre exprès d’éviter Vienna en raison des susceptibilités indigènes. Une bonne moitié de ces imbéciles ne demandait qu’à y aller tout droit. Tu savais ça ? Et ils l’auraient fait, qui plus est, si les autres n’avaient pas eu des projets de carrière…
Je remarquai, à l’avantage de la Quatorzième, que l’avis le plus sage l’avait emporté. Mais tout cela ne faisait que confirmer que ces hommes n’étaient pas d’humeur à me voir rappliquer pour leur demander de se faire à l’idée d’un avenir tranquille à la caserne à faire du trafic avec leur solde, au lieu de jouer les matamores et d’incendier des villes…
Je donnai à Balbillus de quoi se payer le barbier et boire un autre pichet de vin, puis laissai le soldat unijambiste enfourner son repas chaud pendant
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