Voyage en Germanie
m’insulter.
Je haussai un sourcil.
— Tu dois être très inquiète. Gracilis a-t-il l’habitude de disparaître ainsi ?
— Les habitudes du légat ne regardent que lui.
— Pas tout à fait, Mænia Priscilla.
D’agacement, sa bouche se tordit plus hideusement.
D’habitude, les hommes vêtus de tuniques lavasses informes et dont une doublure bourrue dépasse des sandales éculées ne lui tenaient pas tête. J’aurais aimé être attifé de façon plus attrayante, mais mon banquier m’avait déconseillé de trop grever mon budget cette année. Les banquiers sont tellement prévisibles ! Et mon budget, donc !
— Noble dame, il semble y avoir un problème ! Un homme du rang de ton mari ne devrait jamais être introuvable. Cela perturbe les subalternes. En fait, l’empereur pourrait considérer que, d’un point de vue politique, c’est une situation insensée… Si Gracilis tâche de fuir ses créanciers…
Je plaisantais, mais elle lâcha un rire amer : ma supposition au hasard était tombée pile.
— C’est donc ça ?
— Ça se pourrait.
— Peux-tu me dresser un état de ses dettes ?
Elle haussa les épaules. Gracilis l’avait probablement amenée en Germanie pour éviter qu’à Rome elle risque de suborner les nombreux régisseurs qu’il employait afin d’obtenir d’eux l’argent nécessaire à ses dépenses. Les hommes de ce genre tiennent jalousement leur femme à l’écart de l’abaque domestique. J’insistai, mais elle avait vraiment l’air de ne rien savoir. Je n’en fus pas étonné.
— Tu ne peux donc pas me dire où je dois commencer mes recherches ? Tu n’as pas idée de l’endroit où ton mari peut être ?
— Oh ! ça, je le sais ! s’exclama-t-elle d’un ton supérieur.
Je ravalai mon irritation.
— C’est important, Mænia Priscilla. J’ai un message de Vespasien à remettre à Florius Gracilis. Quand l’empereur envoie un courrier, il s’attend à ce que je le délivre. Acceptes-tu de me dire où se trouve ton mari ?
— Probablement chez sa maîtresse.
Elle était tellement évaporée qu’elle ne regarda même pas l’effet que produisait sur moi cette réponse.
— Écoute, repris-je, tâchant encore de contenir ma colère, votre vie privée vous regarde, mais si modernes que soient tes idées à propos du mariage, je suppose que Gracilis et toi observez quelques règles. Les conventions sont assez limpides. (Je les énonçai cependant :) Lui dilapide ta dot, toi tu entames son héritage. Il est en droit de te battre, toi tu peux le calomnier. Il te dispense des conseils moraux et une rente vestimentaire faramineuse, toi tu es en toutes circonstances la garante de sa réputation dans la vie mondaine. À présent, tâche de comprendre ça : si je ne trouve pas Gracilis vite fait, un scandale va éclater. En tout état de cause, il tiendra à ce que tu évites ça !
Elle sursauta dans un cliquetis atonal de bijoux.
— Comment oses-tu ?
— Comment un homme voué au public ose-t-il se payer le culot de disparaître juste sous le nez du gouverneur de province ?
— Je m’en moque complètement ! s’écria Mænia Priscilla en donnant son premier véritable signe de vivacité. Sors d’ici, et que je ne te revoie plus !
Elle quitta vivement la pièce. Une bouffée d’un parfum désagréablement suave tournoya à sa suite. Sa sortie fut si emportée qu’une épingle à cheveux en ivoire sauta du ruban crénelé qui retenait sa chevelure savamment torsadée et atterrit à mes pieds.
Je ramassai le projectile et le remis sans un mot à l’une des suivantes. Les femmes prirent un air résigné, puis rassemblèrent leurs affaires et suivirent leur maîtresse.
Je ne m’en inquiétai pas. Quelque part dans la maison, il devait y avoir un comptable racorni qui accueillerait ma requête avec plus de réalisme que l’épouse boudeuse. Lui saurait forcément quels créanciers il tâchait quotidiennement d’apaiser, et si je m’intéressais à son travail, il m’exposerait probablement la situation.
Quant au nom de la maîtresse du légat disparu, il devait être connu partout dans la caserne.
22
À un moment donné, au cours de mes recherches, je me retrouvai dans le gymnase privé du légat. Je compris ce que Justinus entendait lorsqu’il parlait de Gracilis comme d’un amateur de loisirs virils : son antre était bourré de poids, haltères, balles lestées pour la pratique du lancer, et tout l’attirail caractérisant en général
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