Will

rencontre de notre Bran et de frère Jago avec le monarque
anglais semblait les avoir épuisés, du moins si je devais en croire mes yeux
las. « Le roi William tient un conseil restreint, a ajouté Jago. Il donne
peu et demande beaucoup. Pourtant, je crois qu’il a l’intention de nous aider
dans la mesure où il y trouve son compte. Après, qui peut le dire ? »
    Qui pouvait le dire, en effet !
    Nous avions tout risqué pour prévenir le roi de la haute
trahison qui le menaçait – et maintenant qu’il était au courant, nous
allions être écartés comme les miettes du dîner de la veille.
    « Il ne nous a pas redonné nos terres ? a gémi
Siarles.
    — Non, il ne l’a pas fait. Du moins, pas encore. Nous
devons attendre sa réponse ici. »
    Siarles a soufflé par ses narines. « Et dire qu’après
tout ça nous sommes redevables à ce gros crapaud de roi ! a-t-il
ronchonné. Nous aurions mieux fait de soutenir le duc Robert !
    — Non, nous avons fait le bon choix. » Bran était
ferme sur ce point. « Écoutez-moi, vous tous, et ne l’oubliez pas :
nous avons fait le bon choix. William est le roi, et seul William a le pouvoir
de nous rendre nos terres. Le roi représente la justice pour les gens qui
doivent vivre sous son autorité. William le Rouge est notre seul espoir.
    — Le duc Robert nous aurait rendu nos terres s’il était
devenu roi, a insisté Siarles. Si nous l’avions soutenu, il nous aurait aidés
en retour et nous aurions récupéré ce qui nous revient de droit. »
    Mérian a jeté à Siarles un coup d’œil qui aurait pu couper
du bois. Le rude et rugueux forestier lui a retourné un regard furieux, mais a
marmonné : « Si j’ai parlé au-dessus de mon rang, mon seigneur, j’en
suis désolé et je demande humblement votre pardon. C’est juste que malgré tout
le mal qu’on s’est donné, j’ai comme l’impression que nous ne sommes pas plus
avancés qu’avant. »
    Bran lui a donné une tape dans le cou et l’a tiré à lui.
« Siarles, mon ami, si tu crois vraiment que soutenir Robert nous
servirait d’une quelconque façon, tu peux aussi bien aller rejoindre ces
traîtres qui se rassemblent en ce moment même pour fomenter leurs ruses. »
Bran parlait doucement, mais sa détermination ne faisait aucun doute.
« Mais pendant que tu y es, rappelle-toi que le baron de Braose est l’un
des chefs de la rébellion. C’est sa main qui serre nos gorges et son bras qui
soutient Robert. Si le duc Robert devait devenir roi d’Angleterre, ce maudit de
Braose deviendrait encore plus puissant et n’abandonnerait jamais sa mainmise
sur nos terres.
    — Bran a raison, a déclaré Iwan. Le seul moyen de se
débarrasser de De Braose est de le démasquer.
    — Nous avons prévenu William le Rouge à temps,
maintenant il peut agir pour désarmer les traîtres, a expliqué Bran en libérant
Siarles. J’ai exposé notre cas devant le roi, et il nous faut espérer qu’il
parviendra à punir ceux qui ont conspiré contre lui.
    — Bon », a dit Siarles en se frottant le cou. Il
n’était toujours pas pleinement convaincu. « Il semble que nous n’ayons
aucun autre espoir.
    — Il n’en a jamais été autrement, lui a rappelé Bran.
Nous avons fait tout ce que nous pouvions. À la grâce de Dieu. »
    Bran avait raison, voyez-vous. N’en doutez jamais. Nous
n’avions nul autre espoir de réparation en ce monde que William, personne
d’autre. Mais Siarles, bénie soit sa tête épaisse, n’avait pas tort de soulever
la question. À dire vrai, c’était quelque chose que je me demandais moi-même
depuis le début – et ce n’est que lorsque Odo m’avait parlé des deux papes
que j’avais commencé à retrouver mon chemin dans ce labyrinthe. Pourquoi le
baron de Braose avait-il rédigé une lettre pareille ? À qui
s’adressait-elle ? Et puis je me suis rappelé qui avait signé cette
lettre, et bien que je ne puisse pas me souvenir de tous les noms, celui du duc
Robert était gravé dans mon esprit, et je me demandais ce qui avait pu pousser
le frère du roi et un des plus proches barons de William le Rouge à envoyer un
tel message.
    Oh, c’était une belle énigme, pour sûr. Mais la réponse
était là, à nous regarder dans le blanc des yeux depuis le début. C’est juste
que nous ne la voyions pas.
    Cependant, quand un gars se retrouve prisonnier dans une
geôle nauséabonde, il commence à voir beaucoup de choses d’un œil neuf, si