Will
et même personne.
Les moines le connaissent sous le nom de Silidons, tu comprends ? Moi, ils
pensent que je m’appelle Goredd. On peut poursuivre ?
— Juste une question, Will…
— Une question ?
— Une autre, alors. Ce monastère dont vous parlez, à
Saint-Tewdrig. Où se trouve-t-il, exactement ?
— Eh bien, il se trouve exactement à l’endroit où il se
trouve, pas la largeur d’un pied plus au nord ou au sud. »
Odo fronce les sourcils. « Je voulais dire que ça sonne
comme un nom païen. Pourriez-vous parler français ? »
Je laisse ma mauvaise humeur éclater. « Non,
certainement pas ! Si les Ffreincs tiennent à rebaptiser chaque village et
chaque hameau bon gré mal gré, ils ne peuvent pas s’attendre à ce que les
honnêtes gens tel que moi les apprennent par cœur et les récitent pour un oui
ou pour un non ! Si ton abbé veut visiter l’endroit, je lui suggère de
commencer par se renseigner en enfer ! »
Odo m’écoute avec une expression blessée pareille à celle
d’un chien. Quand j’en ai fini, sa douleur fait place au désabusement.
« Les honnêtes gens tel que vous ?
— Il y a plus d’honnêteté en moi qu’il y en a dans un
troupeau de nobles normands, ne t’y trompe pas. »
Odo hausse les épaules et trempe sa plume. Après m’avoir
laissé me calmer un instant, il répète la dernière ligne qu’il a écrite et nous
reprenons tant bien que mal…
Sa longue robe claquant autour de ses jambes grêles, le
vieil évêque nous a fait traverser la cour. Malgré toute sa joie de nous voir,
une certaine tristesse semblait peser sur les lieux, et je me demandais
pourquoi.
Le frère d’étable a pris nos chevaux pour les nourrir et les
faire boire, et c’est l’évêque en personne qui a préparé nos chambres – je
crois qu’elles n’avaient jamais servi. Austères, elles sentaient la chaux, et
les lits étaient recouverts d’un tas de toisons épaisses manifestement neuves.
« Ils ne reçoivent pas beaucoup de visiteurs, ai-je fait observer à
Siarles après le départ d’Asaph.
— Le monastère est tout nouveau, et depuis l’arrivée
des Ffreincs en Elfael, rares sont les gens à emprunter encore cette route. »
Un frère nous a apporté une cuvette d’eau et un peu de savon
pour que nous fassions disparaître les traces des derniers jours de voyage. À
tour de rôle, Siarles et moi nous sommes éclaboussé le visage et avons rincé
nos mains dans la cuvette avant de rejoindre l’évêque pour prendre un
rafraîchissement dans ses quartiers, au-dessus du bâtiment qu’ils appelaient le
réfectoire.
« Nous dînons après les prières du soir, nous a
expliqué Asaph, mais les voyages donnent faim. » Il a tendu une main vers
la table qu’on nous avait préparée. « Aussi je vous en prie, mes amis,
prenez un petit quelque chose pour vous sustenter jusque-là. »
Après l’avoir remercié, nous avons rempli nos bols en bois
de leurs offrandes : des œufs à la coque, des morceaux de fromage de
chèvre et du mouton froid. Et puis de l’aie claire – sans doute la
meilleure qu’ils avaient – et du babeurre frais. Nous nous sommes assis
pour manger, et l’évêque a tiré sa chaise près de la table. « Donnez-moi
des nouvelles, a-t-il dit sur un ton presque pitoyable. Comment va notre
bienfaiteur ?
— Mieux que jamais, a répondu Siarles. Il attend avec
impatience le jour où il pourra vous rendre visite en personne. Et il m’envoie
avec cette preuve d’amitié pour vous aider dans votre tâche ici. » Sur ce,
Siarles a produit un petit sac de cuir rempli de pièces et l’a placé sur la
table devant l’ecclésiastique.
L’évêque a souri puis, après avoir remercié Dieu de nos
largesses, il a ouvert le sac et en a sorti une poignée de pennies d’argent.
« Dites à votre seigneur que cela contribuera beaucoup à alléger le
fardeau des pauvres qui vivent ici. Les Ffreincs exercent de telles pressions
sur chacun d’entre nous…» Il a vacillé et regardé au loin.
« Mon père ? ai-je dit. Vous ressemblez à
quelqu’un qui vient de se mordre la langue plutôt que de dire ce qu’il a sur le
cœur. Pourquoi ne pas vous décharger sur nous ?
— Les choses vont mal en ce moment – plus mal que
jamais.
— Vraiment ? a demandé Siarles. Que se
passe-t-il ? »
Asaph a tenté de parler, mais il en était incapable. Siarles
lui a passé de l’ale coupée à l’eau et a dit :
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