Will
dit que nous ne devons pas poursuivre plus avant pour l’instant.
— Ah, je vois.
— Alors, je devrais partir. » Mais il se tient là,
les deux pieds collés au sol, voûté dans l’étroit couloir.
Il dit qu’il ne peut pas rester, et pourtant il ne part pas.
Quelque chose le retient ici.
« Eh bien, peut-être que l’abbé ne s’opposerait pas à
ce que tu passes un peu de temps ici à traquer les quelques petites choses qui
t’échappent encore. C’est dans son intérêt, après tout. »
Odo s’anime aussitôt. « Vous croyez ?
— Oh, oui. Qui d’autre se soucie des divagations d’un
dangereux hors-la-loi ?
— C’est exactement ce que je pensais. Ça ne peut pas faire
de mal de clarifier quelques détails – d’éclaircir certains malentendus,
dans l’intérêt de l’abbé.
— Dans l’intérêt de l’abbé, bien sûr. »
Odo hoche la tête. Pour une fois dans sa vie de gros
patachon, il a pris une décision. « Bien. Je viendrai demain. » Puis
il sourit, content de lui ; il se délecte de ce petit défi. Il se tourne
pour partir, mais s’attarde un instant. « Que la paix de Dieu soit avec
vous cette nuit, Will.
— Avec toi également. » Et il déguerpit.
Il y a peut-être encore de l’espoir pour Odo, plaise à Dieu.
Bien que ma fin soit proche, il y aurait évidemment encore
beaucoup à dire sur cette histoire, sur cette vie qui est la mienne. Comment je
me suis retrouvé dans cette situation, pour commencer – mais je ne le
dirai pas à Odo. Pas encore. Le divertir est sans doute ma meilleure arme en ce
moment – la seule, pour tout dire. Je dois distraire notre ambitieux abbé
aussi longtemps que possible pour donner le temps au Roi Corbeau de parvenir à
ses fins. Un but qui a tout à voir avec ce fichu anneau et cette satanée
lettre.
Par les ossements de Job ! Je ne me trouverais pas ici
sans ce damné trésor. Il va me coûter la vie, aucun doute là-dessus. Et pour
tout dire, je crains qu’il coûte celle de pas mal de gens avant que cette
horrible histoire arrive à son terme.
CHAPITRE 21
Val de l’Elfael
Le marshal Guy de Gysburne se tenait appuyé contre le mur
fraîchement enduit de la nouvelle perception de Saint-Martin. Il jaugeait les
derniers arrivants qui s’entraînaient en bordure de la place. Sept
soldats – trois chevaliers et quatre hommes d’armes –, les premières
recrues de l’armée personnelle de l’abbé Hugo. Ce dernier avait prétexté
qu’aucun abbé digne de ce nom ne pouvait survivre très longtemps sans gardes du
corps pour l’escorter lors de son saint office dans cette étendue sauvage
pleine de barbares sanguinaires. L’abbé Hugo avait réussi à persuader le baron
de Braose d’envoyer des troupes pour sa protection et, Gysburne n’en doutait
pas, son prestige. En effet, l’abbé semblait décidé à créer son propre fief en
Elfael, sous le long nez aristocratique de De Braose.
Arrivés alors que Gysburne rendait visite à son père dans le
nord du pays, les sept nouveaux venus avaient passé ces derniers jours à
s’entraîner et à errer sur la grand-place de la ville. Sir Guy, tels qu’il les
observait à présent, ne voyait pas grand-chose à redire. Malgré leur jeune âge,
à en juger par la façon adroite dont chacun se fendait et parait, tous
semblaient passés maîtres dans leur art. Guy supposait qu’ils avaient reçu leur
formation en Aquitaine ou en Angevin avant d’être enrôlés dans les forces du
baron. À dire vrai, ils lui rappelaient sa propre personne seulement quelques
années plus tôt : tranchants comme l’acier dans leurs mains, avides
d’avoir une chance de démontrer leur valeur et de gagner les faveurs du baron,
sans même parler de leur propre fortune.
Quand bien même, Guy aurait été surpris si un seul de ces
nouveaux venus avait jamais fait couler du sang humain de sa lame soigneusement
huilée et aiguisée, et encore moins combattu sur le champ de bataille.
S’il plaisait à Dieu, cela viendrait. Pour l’instant,
cependant, il était temps de faire connaissance avec sa nouvelle troupe. Sur un
caprice, Guy décida de les emmener chasser ; une journée en selle lui
donnerait l’occasion de voir quel genre d’hommes c’étaient, et ça profiterait à
cette bleusaille d’en apprendre un peu plus sur le territoire qui était
désormais le leur.
Il sortit retrouver ses hommes dans la cour.
« À moi ! » hurla-t-il en utilisant le cri
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