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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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les
discussions discrètes avec Paul Cambon. À aucun moment, sir Edward ne
commettrait l’imprudence d’offrir une garantie formelle d’engagement à
l’ambassadeur et à limiter, par là même, la liberté d’action du royaume.
Toutefois, dans une lettre adressée à ce dernier le 22 novembre 1912
et demeurée ultra-secrète, Grey avait fini par révéler le fond de sa
pensée : « Je suis tout à fait d’avis que, si l’un de nos
gouvernements avait de graves raisons de s’attendre à une attaque non provoquée
d’une tierce puissance, ou quoi que ce soit menaçant la paix générale, il lui
faudrait immédiatement discuter avec l’autre l’opportunité d’agir de concert
pour empêcher l’agression et sauvegarder la paix et, dans ce cas, les mesures
qu’ils seraient disposés à prendre en commun [294] . »
    En ce début de mois d’août, Edward Grey ne se doutait pas à
quel point Cambon était lui-même harcelé par son propre gouvernement.
L’avant-veille encore, comme il ne parvenait pas à joindre son ambassadeur au
téléphone, René Viviani avait piqué une crise.
    L’ambassadeur s’était accordé deux heures de détente à Drury
Lane, le Châtelet londonien, en allant entendre Chaliapine dans Boris
Godounov . Dans la loge à ses côtés, Lady Cunard et sa fille Nancy.
Incontournable dès qu’il s’agissait d’arbitrer les élégances, Paul Morand y
avait également entraîné Catherine d’Erlanger, une superbe rousse au teint
laiteux mariée à un baron de la City, et Consuelo Vanderbilt, duchesse de
Marlborough. À la fin de la représentation, Chaliapine leur avait confié qu’il
partait prochainement pour la guerre. La duchesse de Rutland avait fondu en
larmes. Thomas Beecham, le talentueux chef d’orchestre qui venait de se payer
Covent Garden tant sa fortune personnelle était immense, avait lancé en
français à Cambon sur un ton enjoué : « Tenez bon les Frenchies, nous
arrivons [295]  ! »
    Retour à l’ambassade. Il était vingt-trois heures. Le
téléphone se mit à sonner. L’ambassadeur détestait les engins modernes. Ce fut
Morand qui décrocha. À l’autre bout du fil, une voix véhémente :
    — Ici Viviani ! Cela fait deux heures que
j’appelle. Où est donc votre bougre d’ambassadeur ? Il n’y a donc personne
dans votre foutue boîte [296]  ?
    Du Viviani tout craché. L’ambassadeur consentit tout de même
à se saisir de l’appareil :
    — Allô ? Allô ?
    Puis, l’air faussement désolé :
    — C’est inutile. Je n’entends rien.
    Morand essuya une nouvelle bordée en provenance de
Paris :
    — Il est donc sourd votre ambassadeur ! Il a tout
pour plaire ! Ici c’est la mobilisation ! Que Cambon aille chez le
roi de la part de Poincaré ! Dès ce soir, nom de Dieu [297]  !
    Paul Cambon n’était pas accoutumé à ce qu’on l’apostrophe
sur ce ton, surtout devant un de ses subordonnés. Il prit le parti d’ignorer
l’incident :
    — On ne peut pas aller à cette heure chez le roi.
Demain matin, je demanderai audience à Grey [298] .
    Le lendemain, l’algarade avec Viviani ne manqua pas de se
répéter.
Potsdam, 1 er  août, 22 h 30
    Les communications se faisaient, elles aussi, fébriles entre
Londres et Berlin. Dans la matinée, William Tyrrell, le secrétaire privé de
Grey, avait rencontré discrètement le prince Lichnowsky. Il lui avait confirmé
qu’il y avait eu malentendu par rapport à ce que l’ambassadeur avait cru
comprendre le matin au téléphone. Jamais sir Edward n’avait entendu faire
à l’Allemagne une offre de neutralité. D’ailleurs, il n’avait pas consulté
Paris à ce sujet.
    De son côté, Georgie venait de répondre au télégramme de son
cousin le Kaiser. Lui aussi expliquait qu’il y avait eu un «  deep
misunderstanding  ». En fait, l’Angleterre ne garantirait la neutralité
française que si l’Allemagne elle-même observait une stricte neutralité envers
la Russie comme envers la France.
    L’aide de camp du Kaiser, le colonel von Mutius, fit
déranger son maître dans ses appartements. Celui-ci était déjà endormi. Revêtu
d’une capote militaire par-dessus sa tenue de nuit, Guillaume fit mander
sur-le-champ son chef d’état-major général. Une demi-heure plus tard, von Moltke
était au garde-à-vous devant son empereur :
    — Bon, maintenant faites ce que bon vous semble.
Marchez sur le Luxembourg [299] .
    Moltke parut sans réaction. C’était un

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