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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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fuyante qu’une anguille n’était
qu’une sangsue, comparée à lui [342] .
     
    Le fait est qu’à cette heure Vienne n’avait pas encore
trouvé le temps de déclarer la guerre à Petrograd ! Sans plus d’égards
désormais, Berlin exerça une pression de plus en plus exaspérée. Décidément, il
était plus difficile à l’Autriche de déclarer la guerre à la Russie que de
délivrer un ultimatum à la Serbie. Le Ballplatz finit par adresser aux Russes
un texte aussi emberlificoté que ridicule laissant à penser que l’Autriche
était poussée à la guerre par l’Allemagne.
    Pour autant, Vienne n’envisageait pas la moindre rupture
avec la France ou l’Angleterre, laissant ces deux pays dans l’expectative.
Insistant, l’ambassadeur français en Autriche Alfred Dumaine relançait ses
interlocuteurs sur la nature de leur engagement vis-à-vis de Berlin. Avec tout
autant de constance, il lui était prodigué des paroles apaisantes. Un vrai
malentendu ! Ce n’était tout de même pas pour ça que le vieux diplomate
français allait réclamer ses passeports !
    À Paris, l’ambassadeur autrichien Szecsen n’avait nulle
envie de quitter son poste. Malgré les allusions déplaisantes dont il
commençait à faire l’objet, il continuait de fréquenter assidûment le Cercle de
l’Union ainsi que les lieux confortables qui lui étaient familiers. Ce qui ne
l’empêchait nullement de multiplier à l’attention du Ballplatz les télégrammes
dans lesquels il déplorait le pillage des magasins autrichiens par la
population parisienne ou encore la chasse aux Austro-Hongrois lancée par la
police dans les rues de Paris…
    Enfermé à Schönbrunn, l’empereur François-Joseph était
invisible. Le gouvernement et ses ministres avaient également des allures
fantomatiques. Quant au Reichsrat, le Parlement, il était suspendu depuis mars
et le président du Conseil Karl Stürgkh ne voyait aucune raison de le réunir en
cet instant dramatique.
    Les Viennois, eux, se montraient nettement plus
enthousiastes que leurs dirigeants. Dans la capitale, la fièvre et la ferveur
croissaient d’heure en heure. Parades et cortèges se succédaient dans les rues,
débordant le corps des pompiers chargés de la sécurité. Le long du Ring jusqu’à
Rathaus Platz, ce n’étaient que chants à la gloire de l’empereur bien-aimé ou du
prince Eugène. Des banderoles en l’honneur des Habsbourg et de l’armée
autrichienne. Des drapeaux que l’on hissait avec ardeur au Burgtheater.
    Dans cette métropole de deux millions d’habitants anonymes,
des inconnus qui se seraient ignorés en temps habituel se parlaient à présent
dans les rues. Les visages rayonnaient et s’animaient, comme si le monde avait
brusquement changé.
    Sur quelques murs, des inscriptions vengeresses, Alle
Serben müssensterben ! (Tous les Serbes doivent crever !), que
les gosses des trottoirs reprenaient en chœur sur l’air des lampions. Des
élégantes en toilette d’été agitaient leur mouchoir en signe d’allégresse
patriotique. Un peu plus loin, des ouvriers, des artisans, des domestiques, ces
petites gens de la vie quotidienne que personne ne remarquait habituellement,
brandissaient avec fierté des calicots. Une impression d’unanimité et de
fraternité estompant miraculeusement les différences de classe, de race ou de
religion.
    Bien sûr, un œil averti aurait repéré que les sujets d’origine
allemande étaient plus en verve que ceux d’origine polonaise ou hongroise, que
les Slovènes étaient plus enthousiastes que les Croates. Mais cela ne changeait
rien à la spontanéité et à l’intensité d’un patriotisme qui avait fini par
submerger Stefan Zweig, de retour à Vienne : « Je dois avouer que
dans cette levée des masses il y avait quelque chose de majestueux, d’extatique
et même de voluptueux, à quoi il était difficile de résister… Les milliers et
les centaines de milliers d’hommes sentaient comme jamais ce qu’ils auraient dû
mieux sentir en temps de paix, à savoir à quel point ils étaient solidaires [343] . »
    À quelques pâtés de maisons de là, dans le quartier de
Sievering, Léon Trotsky ressentait très exactement les mêmes impressions,
sidéré par la ferveur du patriotisme ambiant : « La guerre s’empare
de tous et, par suite, les opprimés, ceux que la vie a trompés, se sentent
alors comme à un niveau d’égalité avec les riches et les puissants [344] . »
    Le chef

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