1914 - Une guerre par accident
fort de quelque 80 000 hommes.
L’entrée en scène de ces troupes au cours des toutes premières opérations était
jugée essentielle par les états-majors.
Il n’était plus question de laisser la Kriegsmarine agir à
sa guise en Méditerranée et menacer les transports alliés. À présent, Churchill
était déterminé à en finir et à envoyer le Goeben et le Breslau par le fond. L’escadre britannique basée à Malte n’attendait que cela. Winston
en avait parlé à Asquith qui, sans y être absolument hostile, restait cependant
hésitant. Asquith avait à son tour évoqué la question en conseil de cabinet.
Celui-ci avait refusé catégoriquement, le chef du Foreign Office en tête.
L’irrésolution menaçait une fois encore de gagner les rangs
du gouvernement britannique. Le ministère de la Guerre était sans titulaire
depuis plus de quatre mois. Asquith avait fait revenir Kitchener à Londres mais
il ne s’était pas résigné à lui confier officiellement les clés du War Office.
Bon gré mal gré, Haldane assurait l’intérim.
Encore plus grave était la question de l’envoi d’un corps
expéditionnaire en France. Le cabinet était partagé. Chacun savait que la Royal
Navy était largement capable à elle seule de garantir la sécurité du pays. Les
plans dressés de longue date en commun avec la France prévoyaient que six
divisions britanniques passeraient la Manche entre le quatrième et le douzième
jour de la mobilisation. Personne n’osait donner l’ordre formel. Dans
l’opposition de Sa Majesté, Arthur Balfour décelait sans la moindre indulgence
« une certaine mollesse de pensée et une indécision d’intention [371] ».
En tout cas, il n’était pas question de déclencher les
hostilités avant l’expiration de l’ultimatum. Attendre…
À l’extérieur des ministères, à Whitehall, la foule était en
train de comprendre. En cette fin d’après-midi, elle s’était regroupée à
l’intersection de Charing Cross avant de se déverser en vagues successives sur
le Strand et le Mall. Trafalgar Square était déjà noir de monde. Les jours
précédents, c’était le lieu de rendez-vous d’organisations pacifistes.
Désormais, agitant des drapeaux de l’Union Jack, les manifestants reprenaient
en chœur chansons et slogans antiallemands. Des gars à l’accent cockney venus
des quartiers ouvriers jusqu’aux dandies, ces nuts qui fréquentaient
Piccadilly et Regent’s Street.
La colonne de Nelson paraissait surnager d’une marée
humaine. On racontait dans le temps que la statue avait été érigée de telle
sorte que le légendaire amiral puisse voir sa flotte amarrée à Portsmouth.
Aujourd’hui, du haut de ces cinquante-six mètres de granit cannelé, Horatio
Nelson pouvait contempler ses descendants qui s’apprêtaient à entrer dans un
nouveau conflit à la vie à la mort.
Même les énormes lions de bronze sculptés par sir Edwin
Landseer, aux quatre coins de la colonne, disparaissaient sous les grappes
grouillantes de badauds exaltés qui étaient venus s’y jucher. Les lions de
Trafalgar Square, « comme le monde n’en a jamais vu » prétendait-on à
l’époque de leur installation en 1868. Avaient-ils vraiment été réalisés à
partir du métal des canons de la flotte française vaincue par Nelson ?
Chacun s’en moquait bien aujourd’hui. La majesté hiératique de ces lions de
Trafalgar était bien le symbole imprescriptible de la fière et invincible
Albion. Rule Britannia !
Berlin, 4 août, 18 h 15
L’atmosphère devenait proprement irrespirable au Schloss.
Les civils continuaient de pérorer. C’étaient pourtant les militaires qui
imposaient à présent leur style et leur méthode. Au point parfois d’en oublier
les règles élémentaires de civilité. En quittant son ambassade de la Pariser
Platz dont les fenêtres donnaient sur le célèbre Hôtel Adlon, le presque
septuagénaire Jules Cambon venait d’en faire douloureusement les frais.
À l’inverse de Wilhelm von Schoen, son voyage de retour
avait tourné à l’odyssée. Pour regagner la France, il avait demandé aux
autorités locales de l’acheminer par la Suisse ou la Hollande. On l’avait
dirigé d’autorité vers le Danemark. En chemin, le major allemand préposé à sa
surveillance lui avait extorqué une somme de 3 611 marks, faute de
quoi, disait-il, le train ne passerait pas la frontière. Cambon avait proposé
de faire un chèque. L’Allemand avait
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