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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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refusé avec insolence. Finalement, le
diplomate avait dû racler ses fonds de poche pour réunir la somme qu’on lui
soutirait contre tous les usages [372] .
    Il y avait eu pire en matière de vilenie. Le ministre
français en Bavière avait été molesté et le consul de France à Mannheim enfermé
dans un fourgon de bagages sur le chemin de la Suisse.
    Sur le coup de dix-neuf heures, le chancelier
Bethmann-Hollweg reçut en audience l’ambassadeur de Grande-Bretagne Edward
Goschen. Le motif n’en était que trop évident.
    Sir Edward trouva son hôte inhabituellement agité, trop
sans doute pour pouvoir soutenir une conversation cohérente. Le chancelier
venait de passer la dernière demi-heure en compagnie du Kaiser. À deux, ils
avaient déblatéré rageusement sur l’Angleterre et les Anglais. Guillaume
l’avait quitté sur ces mots :
    — Si nous devons y laisser notre peau, il faut au moins
que l’Angleterre y perde les Indes [373]  !
    Bethmann était très remonté contre ce qu’il appelait la
duplicité britannique. Il interpella l’ambassadeur :
    — Je sens mon sang bouillir quand j’entends que
certains font résonner avec hypocrisie la corde de la Belgique. Alors que
l’Angleterre entre en guerre pour de tout autres motifs [374] .
    Goschen sentit que la discussion virait à l’aigre. Il entreprit
de calmer le jeu, sans succès. De plus en plus indigné, Bethmann reprit
derechef :
    — Enfin quoi ! Faire la guerre à une nation
apparentée, c’est frapper par-derrière un homme qui défend sa vie contre deux
assaillants !
    — Monsieur le chancelier, l’Allemagne pas plus que
l’Autriche ne jouait sa propre existence dans cette affaire. Si seulement vous
n’aviez pas laissé certains la dramatiser [375] …
    Suivant le fil de sa propre pensée, Bethmann-Hollweg
n’écoutait plus :
    — … et tout ça pour quoi ? Pour un simple
mot, celui de neutralité. Uniquement pour un chiffon de papier [376]  !
    Visiblement, le chancelier n’était plus en état de mesurer
la portée de ses propos. L’ancien juriste froid et précis s’était
définitivement effacé derrière un politique dépassé, entrevoyant déjà avec
effroi une fin de carrière et une postérité ternies. Bethmann-Hollweg était
loin de se douter à quel point sa dernière sortie lui causerait, ainsi qu’à son
pays, un préjudice moral irréparable.
    *
    Dès le 3 août, Paul Morand avait regagné la France pour
y être mobilisé au fort de Rosny-sous-Bois, à l’est de Paris. L’avant-veille, à
Londres, il avait assisté à une fête Longhi à tout casser. Un bal
costumé d’un baroque délirant dont la capitale anglaise n’était guère
coutumière, surtout dans une demeure néo-classique donnant sur Regent’s Park.
La veille encore, à Mayfair, il était à la dernière réception organisée par
Consuelo Vanderbilt en sa somptueuse résidence de Sunderland House. Son ordre
de mobilisation le classait dans les services auxiliaires. Il y serait maintenu
quelque temps par les conseils de réforme avant d’être autorisé, à l’automne 1914,
à rejoindre son poste diplomatique à Londres.
    *
    La mort dans l’âme, Albert Ballin était rentré chez lui à
Hambourg. C’est là qu’il apprit que les troupes allemandes étaient en train
d’envahir la Belgique. Deux jours plus tôt, à l’Hôtel Atlantic, il avait
rencontré plus tôt Bernhard von Bülow. Les deux hommes s’estimaient. En
une quinzaine d’années, ils en avaient vu passer des choses !
    Aujourd’hui, Ballin n’offrait plus l’image volontaire et
optimiste qu’on lui connaissait. Fatigué, vieilli, ne marchant plus qu’à coups
de somnifères et de calmants, il n’était plus qu’un homme brisé physiquement,
ruiné émotionnellement. Lorsque Bjarne Aagaard, un armateur norvégien, l’avait
croisé la veille, il avait été frappé par son teint blafard et sa mine
épouvantable.
    Sur la demande pressante de la Wilhelmstrasse, Ballin venait
d’écrire une lettre à John Walter, un des principaux actionnaires du Times ,
dans laquelle il accusait la Russie de l’entière responsabilité de la guerre.
Mais y croyait-il vraiment ? Loin de l’euphorie ambiante, il avait le net
pressentiment d’un désastre. Un désastre pourtant annoncé.
    Si les choses avaient été différentes, si le Reich n’avait
pas commis ces erreurs au cours de toutes ces années, peut-être aurait-on pu
préserver la neutralité de Londres. Mais

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