1914 - Une guerre par accident
visaient Gaston Calmette, le directeur du
célèbre quotidien, qui était décédé peu après.
Ce meurtre n’était pas le fruit du hasard. Depuis
décembre 1913, Le Figaro multipliait les articles incendiaires à
l’encontre de Joseph Caillaux. Ce n’était pas seulement sa politique qui était
en cause. L’homme lui-même, traité quotidiennement de corrompu et de voleur,
était devenu le centre de toutes les attaques. Sa probité était à présent en
cause et, avec elle, son honneur.
La situation devenait intenable pour Caillaux qui était
alors ministre des Finances. Il n’y avait pas que le célèbre quotidien parisien
à s’en prendre à lui. Au même moment, Aristide Briand n’hésitait pas à qualifier
son collègue du Parlement de « ploutocrate démagogue ». Les vieilles
inimitiés reprenaient le dessus. Pire encore, un sentiment de panique
s’emparait d’une grande partie de la classe politique qui sentait que le vent
était en train de tourner. La gauche était donnée favorite des élections
législatives de mai 1914. Si ce pronostic devait se confirmer, la
conséquence logique en serait la formation d’un grand gouvernement de centre
gauche sous la houlette de Caillaux avec le soutien du socialiste Jaurès.
Le 14 mars, deux jours avant sa mort, Gaston Calmette
avait franchi un pas supplémentaire en menaçant dans son éditorial :
« C’est l’instant décisif où il ne faut reculer devant aucun procédé, si
pénible qu’il soit pour nos habitudes, si réprouvé qu’il soit par nos manières
et nos goûts… » Quel était le procédé, quelles étaient ces entorses aux
habitudes, manières et goûts dont parlait Calmette ? Ni plus ni moins
l’intrusion journalistique dans la vie privée de Caillaux. C’était l’intimité
du couple Caillaux qui allait être déballée sur la place publique.
Dans tout Paris et jusqu’au cœur des beaux quartiers, il se
murmurait que Calmette détenait d’anciennes correspondances enflammées de
Joseph Caillaux à Henriette. L’ennui était qu’à l’époque, Henriette Raynouard
n’était que la maîtresse d’un Caillaux déjà marié. Les révélations promettaient
d’être croustillantes. Déjà, on évoquait avec gourmandise les lettres
enflammées de « Jo » à sa « Ri-ri »…
Au lendemain du meurtre, le scandale s’était amplifié.
Davantage de curiosité que d’émotion véritable, d’ailleurs. Peu de gens
connaissaient le nom de Gaston Calmette. La curiosité se mua bientôt en
controverse passionnée avec une cible privilégiée : Joseph Caillaux. On
l’accusa de lâcheté pour avoir laissé sa femme faire ce qu’il aurait dû
lui-même accomplir. Une fois encore, on le traita de tous les noms. Comment cet
homme fier et imbu de sa supériorité réagirait-il face à l’adversité ?
Caillaux avait dû démissionner sur-le-champ de ses fonctions
de ministre. Il n’était pas pour autant tiré de ce mauvais pas. Les politiques
de tous bords se délectaient du spectacle de cet homme empêtré. Les détails de
l’affaire en devenaient presque secondaires. Peu importait que Calmette ne fût
pas exactement le « galant homme » qu’évoquait Poincaré ou le
« gentleman » que ses amis se plaisaient à décrire. Patron de presse
peu préoccupé de morale, Calmette vivait notoirement aux crochets
d’innombrables maîtresses. Quant à son comportement professionnel, il était
plus que faisandé. L’intéressé laisserait à sa mort des dizaines de millions
alors qu’il était entré sans le sou dans le journalisme.
La petite presse s’était déchaînée, multipliant les
chroniques infamantes dans le but d’obtenir la condamnation de l’épouse
meurtrière : bordées d’injures, pluie de libelles vengeurs, chansons
ignobles colportées dans les rues de Paris. Caillaux devint un homme acculé.
C’est tout juste s’il put obtenir de Briand qu’il use de son influence pour
tempérer le ton des journaux. Il n’était pourtant pas naïf. Il sentait bien des
manœuvres politiques de coulisses derrière la campagne incendiaire du Figaro. Des hommes comme Poincaré et Barthou n’y étaient pas pour rien.
En mai 1914, Caillaux avait été réélu très
honorablement député dans son arrondissement de Mamers, dans la Sarthe. Il
restait cependant englué dans l’affaire, plus particulièrement dans
l’organisation de la défense d’Henriette en prévision de son procès. Plus
question d’un
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