1914 - Une guerre par accident
la
crise bosniaque qui venait de se déclarer. Cela se passait dans le château de
Buchlau, en Moravie, sous l’œil attentif du maître des lieux, le comte
Berchtold, qui était alors ambassadeur d’Autriche en Russie.
Au terme de plusieurs heures de discussion serrée au coin du
feu, on s’était résigné à un maquignonnage à l’ancienne. L’Autriche y avait
gagné le droit de s’approprier la Bosnie-Herzégovine. En échange, la Russie s’y
était vu accorder la liberté de navigation dans les détroits turcs –
Bosphore et Dardanelles. La Méditerranée était désormais ouverte à l’Empire des
tsars. Le vieux rêve russe de l’accès aux mers chaudes se réalisait
enfin !
Iswolsky avait rapidement déchanté quand il avait compris à
ses dépens que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.
L’Autrichien l’avait bel et bien berné. L’Allemagne, pas plus que l’Angleterre
ou que la France, n’était favorable à l’ouverture des détroits. Le dossier avait
déjà été réglé, au moment de la conférence de Berlin de 1878, et il n’était pas
question d’y revenir. En attendant, la Bosnie-Herzégovine était déjà rattachée
à Vienne.
Iswolsky s’était senti floué, humilié par Aerenthal. Et sa
réaction viscérale avait provoqué un éclat de rire étouffé à travers toute
l’Europe :
— Le sale Juif m’a roulé !
Surnommé par dérision dans les salons le « prince du
Bosphore », le Russe en avait souffert dans son orgueil. L’affaire lui
avait coûté son poste de ministre des Affaires étrangères. En lot de
consolation, le chef du gouvernement Piotr Stolypine lui avait proposé
l’ambassade de Paris. Iswolsky avait fini par accepter mais il s’était juré
qu’il prendrait un jour sa revanche sur ces maudits Autrichiens.
La « revanche », c’était également l’obsession de
Raymond Poincaré. Il était de ceux qui n’avaient jamais digéré le désastre de
1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine. « Pensons-y toujours, n’en parlons
jamais », conseillait jadis Gambetta. C’était toujours la ligne de conduite
en vigueur en France. Non seulement Poincaré y pensait tout le temps, mais on
se doutait bien qu’il prenait sur lui-même pour s’empêcher d’en parler.
Peut-être était-ce la raison pour laquelle une certaine intimité de pensée
avait fini par se nouer entre Poincaré et Iswolsky.
L’affinité n’allait pas de soi. Paléologue assurait à qui
voulait l’entendre que le président français détestait
l’ambassadeur russe. On insinuait pourtant que les deux hommes se
rencontraient presque quotidiennement lorsque Poincaré dirigeait le Quai
d’Orsay. De fait, en 1912 Iswolsky avait organisé de main de maître le voyage
de Poincaré en Russie. Aujourd’hui, il se démenait pour faire un succès de la
nouvelle visite que Poincaré, devenu chef de l’État, devait rendre au tsar Nicolas II.
Décidée de longue date, cette visite était plus que jamais
nécessaire. La France avait besoin du soutien et de l’alliance russes, de la
même façon qu’elle devait pouvoir compter sur l’entente anglaise.
L’essentiel dans cette affaire était que Paris s’affranchisse de son
isolement diplomatique. Quand Poincaré quitterait l’Élysée dans cinq ans, il
laisserait un pays encore plus fort et respecté. Il l’escomptait, il
l’espérait.
En attendant, la Russie causait des migraines au chef de
l’État. Il lui fallait encourager les préparatifs russes sur le plan militaire
afin de soulager l’effort de guerre français dans l’éventualité d’une guerre.
Mais, à l’inverse, il lui fallait refréner les audaces diplomatiques russes
liées aux illusions du slavisme. Autant résoudre la quadrature du cercle !
Les Russes n’étaient pas plus stupides que d’autres. Ils
connaissaient le dilemme des dirigeants français. Dans un passé récent, ils en
avaient plutôt pris à leur aise en agissant ici ou là, sans même se préoccuper
d’en informer Paris, leur allié. Plus d’une fois, Poincaré avait dû leur
rappeler, courtoisement mais fermement, l’esprit voire la lettre des accords
conclus. Peine perdue ! Les Russes faisaient le plus souvent la sourde
oreille, non sans dédain. Après tout, cette alliance franco-russe c’était bien
Paris qui l’avait sollicitée au début des années 1890.
La situation ne laissait pas d’inquiéter le chef de l’État
français. Il lui faudrait
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