1914 - Une guerre par accident
grand gouvernement de gauche, du moins pour l’instant. Caillaux
avait la tête ailleurs. Il se battait bec et ongles pour sauver l’honneur de sa
femme et le sien propre. On examinerait la question du gouvernement à la
rentrée de septembre. Il serait alors bien temps.
En cette mi-juillet 1914, la France entière attendait
avec délectation le procès Caillaux, prévu pour le 20 du même mois. Comparé à
ce spectacle tant espéré, que valaient l’assassinat de l’archiduc héritier
d’Autriche et la crise qui s’était ensuivie ? Pas grand-chose en vérité.
Incorrigibles Français qui, contrairement à bien d’autres, les Allemands par
exemple, préféreraient toujours les boudoirs aux champs de bataille !
Dans le climat de frénésie qui déchirait le pays en pro et
anti-Caillaux, ils furent peu nombreux à remarquer qu’en la personne de
l’ancien président du Conseil, c’était un des rares partisans de la
conciliation et du compromis avec l’Allemagne qui se trouvait écarté du jeu
politique en un moment crucial. Un des rares… avec Jean Jaurès.
Au large de Malmö, 17 juillet
Dans son uniforme de grand amiral, Guillaume II
arpentait nerveusement le pont du Hohenzollern . Amer, il pestait contre
son isolement et regrettait de s’être laissé forcer la main par son chancelier.
Le Kaiser comprenait que l’Allemagne ne pouvait donner au reste de l’Europe une
impression d’émotion et d’agitation. Mais devait-on pour autant le tenir à
l’écart et le condamner à l’inaction ?
Avec le recul, il n’appréciait que modérément l’insistance
avec laquelle Bethmann-Hollweg l’avait relégué sur ce yacht de luxe. Comme s’il
avait décidé de prendre lui-même les choses en main avec Jagow. Pour qui se
prenaient-ils ces deux-là ? Pour des maîtres dans l’art de la
diplomatie ?
Bülow lui avait raconté qu’au moment de laisser la
chancellerie à Bethmann-Hollweg, ce dernier lui avait confié naïvement qu’il
n’entendait rien à la politique extérieure mais qu’avec du travail et de la
bonne volonté il espérait se mettre au courant [107] .
C’était en juillet 1909, il y avait tout juste cinq ans. L’aveu était
touchant, à ceci près que la diplomatie n’est pas le genre de métier qu’on
apprend sur le tard, à force de bonne volonté.
À destination du yacht impérial étaient câblées des dépêches
qui ne faisaient qu’accroître l’irritation de Guillaume. Trop molles, trop
conciliantes, ces notes de la Wilhelmstrasse… comme d’habitude ! Jagow ne
valait pas mieux que ses prédécesseurs. Et dire qu’il avait, lui, une vingtaine
d’années de service diplomatique derrière lui. Il n’était plus un novice. Enfin
quoi, c’était l’archiduc héritier d’Autriche qui avait été assassiné, pas le
ministre des Transports du Monténégro ! Les diplomates n’étaient-ils donc
pas capables de saisir la différence ?
Un peu plus tard, au mess des officiers, le Kaiser se fit
solennel :
— Comme le disait le grand Frédéric, je suis contre les
conseils de guerre et les délibérations. C’est toujours le parti des poltrons [108] .
Rires polis dans cette assistance d’uniformes galonnés et
chamarrés. Guillaume prêchait des convaincus. Tous ces officiers autour de lui,
arrogants et raides comme des piquets, souhaitaient la guerre. Ils avaient été
programmés pour cela. L’amiral Georg von Müller comme les autres. Tous
étaient des disciples de Tirpitz et des fervents d’une grande marine allemande.
La guerre, ils l’attendaient avec l’impatience de ceux qui se sentent archiprêts.
Mais la parole restait encore, pour un temps au moins, aux diplomates.
Hélas !
Les nerfs à fleur de peau, le Kaiser se disait qu’il lui
faudrait encore ronger son frein une dizaine de jours au moins sur ce satané
rafiot ! Et surveiller de près les faits et gestes du radiotélégraphiste
du bord.
Vienne, 19 juillet, 10 h 00
Au Ballplatzhaus, le pensum touchait à sa fin. Au terme de
quatre remaniements successifs, le texte de l’ultimatum autrichien à la Serbie
était fin prêt. La toute dernière version remontait au 15 juillet. Pour
une fois, le secret entourant l’élaboration du texte avait été bien gardé. On
avait pris un luxe de précautions au plus haut niveau. Les réunions de
rédaction s’étaient tenues en catimini à un domicile privé n’attirant pas l’attention.
Pendant ce temps, Vienne multipliait les signes
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