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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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pays et a toujours eu le plus grand besoin
d’un mentor.
    — Il n’a pas voulu de Bismarck comme guide et il a
hérité de Holstein, cet intrigant dangereux. J’étais parvenu à me débarrasser
de ce malfaisant. Aujourd’hui c’est presque pire avec Bethmann, cet abîme de
susceptibilité et d’infatuation.
    — Vous n’êtes pas charitable avec vos successeurs,
Excellence…
    — Comment le pourrais-je ? Ils ne comprennent rien
à rien. Bismarck, encore lui, nous avait pourtant montré comment il fallait s’y
prendre pour ne pas abandonner l’Autriche… mais aussi pour ne pas être entraîné
par elle dans une guerre avec la Russie.
    — La guerre. Si vous étiez encore au pouvoir, vous
croiriez-vous capable de l’éviter ?
    — Oui, je le pense vraiment Warneke. J’aurais d’abord
déconseillé cette stupidité suprême de l’ultimatum autrichien à la Serbie. Avec
autant d’énergie que j’aurais secoué un aiguilleur dormant à son poste au
moment où deux trains vont se croiser.
    Une légère brise faisait frémir les vieux lauriers et les
rosiers grimpant jusqu’aux terrasses.
    — Quel parfum enivrant, n’est-ce pas ? Savez-vous
qu’on appelait jadis cette demeure Villa delle Rose ?
    Paul Warneke n’était plus dans la rêverie :
    — Quelle est donc l’erreur de nos gouvernants ?
    — De négliger l’essentiel, mon cher ! La Russie
d’abord. Il ne faut ni troubler l’action des Russes dans les Dardanelles ni
permettre à Vienne de leur barrer la route dans les Balkans. Toute la tradition
russe, plusieurs fois centenaire, obligerait le tsar à s’y opposer à tout prix.
Sans compter les Anglais.
    — San Giuliano soutient qu’ils resteront neutres dans
cette affaire…
    —  Wishful thinking ! Dieu sait que Tirpitz
n’a cessé de les provoquer, ces dernières années. Il ne faut pas rêver :
si nous entrons en guerre contre la Russie et contre la France, l’Angleterre ne
laissera pas échapper une si belle occasion de réduire à l’impuissance son
concurrent économique le plus dangereux.
    Le visage de Bülow s’était rembruni. Il se ressaisit
aussitôt :
    — Cette matinée est trop belle pour se laisser emporter
par le pessimisme. Parlons frivolités, voulez-vous ? Que pensez-vous de
notre ambassadeur à Rome, ce cher von Flotow ?
    L’interrogation prit de court Warneke :
    — Pas grand-chose, à vrai dire.
    — Il est à craindre que vous n’ayez trouvé le mot
juste. Quand je pense que ce pauvre homme me voit en concurrent, moi qui ai
occupé son poste il y a vingt ans…
    Bülow n’était pas homme à lâcher si facilement sa
proie :
    — … voilà ce qui arrive quand on est gouverné par les
femmes. Vous ne connaissez probablement pas son épouse Mathilde, l’ancienne
veuve d’un général russe, le comte Keller. Elle est odieuse avec lui mais quel
tempérament !
    Le maître des lieux se rengorgea :
    — Notez, cela peut arriver à des gens très bien. Mon
propre secrétaire d’État Kiderlen-Waechter, par exemple. Il n’était pourtant
pas le premier venu, tout autre chose que Jagow. Quelles frayeurs nous a-t-il
causées pendant la crise d’Agadir avec ces lettres quotidiennes qu’il adressait
à sa maîtresse en France où elle était en vacances. La police locale a dû se
régaler.
     
    Le regard du prince von Bülow se fit soudain
malicieux :
    — Mais vous ne répéterez pas tout cela, n’est-ce pas,
mon cher ami ? Pas avant que j’aie moi-même consigné tout cela dans des Mémoires que je compte entreprendre prochainement.
    — N’ayez crainte, Excellence. Il semblerait que nous
ayons sous peu bien d’autres soucis [131] .
    *
    À Rome ce jour-là, Antonino Paterno-Castello, sixième
marquis de San Giuliano, n’était pas d’humeur badine. Son état de santé, sans
doute. Atteint de goutte depuis de nombreuses années, il ne quittait plus guère
le palazzo della Consulta, siège du ministère des Affaires étrangères. Son
expérience des relations internationales, plus probablement.
    San Giuliano dirigeait de longue date la diplomatie du
royaume d’Italie. Il l’avait fait une première fois entre décembre 1905 et
février 1906. On l’avait rappelé en avril 1910. À l’époque, le
gouvernement avait à sa tête le très francophile Luigi Luzzati. Par la suite
était venu le temps de Giovanni Giolitti. Depuis mars 1914, Antonio
Salandra était aux affaires. Ces changements successifs n’avaient pas

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