1914 - Une guerre par accident
en chef pendant la seconde guerre des Boers puis
en Inde, Kitchener revenait d’Égypte où il était l’homme fort de l’Empire
britannique. Le gouvernement britannique venait de le rappeler d’urgence.
Asquith songeait à lui confier le portefeuille de la Guerre.
La veille, Kitchener avait confié à deux officiers qui lui
étaient proches :
— Si vous avez des amis en Allemagne, conseillez-leur
de rentrer immédiatement. Et dites-leur, s’il le faut, que le conseil vient de
moi [244] …
La journée avait été exténuante. C’est à peine si le roi put
s’occuper ce soir-là de sa collection de timbres. Dans son Journal personnel, il avait noté laconiquement : « Des télégrammes
arrivent sans arrêt de l’étranger. L’avenir s’annonce noir [245] . »
Harassé, le roi s’était couché vers 23 h 30. À 0 h 45, il
fut réveillé par son écuyer d’honneur Colin Keppel. Le Premier ministre
souhaitait le voir d’urgence.
En robe de chambre, le souverain reçut Asquith qui
l’attendait avec le brouillon d’un télégramme qu’il souhaitait envoyer
sur-le-champ et en son nom au tsar. Ultime tentative pour préserver la
paix ? Le roi n’avait pas à prendre de décision. Seul son consentement
était requis. Encore fallait-il respecter la procédure. Il lut brièvement le
texte, s’assura que sa signature, « Georgie », figurait bien au bas
du télégramme et y apposa son paraphe. Quand le roi retourna se coucher, il
était déjà 1 h 30 du matin.
*
Ce matin-là, il était dix heures lorsque le Stock Exchange
ferma ses portes jusqu’à nouvel ordre. Le chancelier de l’Échiquier signa le
décret relevant de taux de l’escompte de 4 à 8 %. Deux jours plus tard, il
serait de nouveau rehaussé à 10 %. Dans les milieux boursiers, les rumeurs
allèrent bon train. On chuchotait que des millions de livres en or avaient
quitté le pays pour le continent.
Paris, palais de l’Élysée, 31 juillet, 7 h 40
Cette journée-là serait décisive entre toutes. C’était le
sentiment de Raymond Poincaré. Depuis son retour de voyage, le président
semblait évoluer sur une autre planète. Tout s’était si brusquement
accéléré ! De graves, les heures se faisaient à présent dramatiques.
« Des heures napoléoniennes », avait confié à Abel
Ferry le Résident général de France en Tunisie, Gabriel Alapetite [246] .
Avec cette grandiloquence digne d’un fonctionnaire de sous-préfecture.
Il n’empêche ! Le dénouement était proche. La tension
extrême de ces dernières heures ne pourrait se prolonger indéfiniment.
Le chef de l’État achevait de rédiger une missive à
l’attention du roi d’Angleterre George V. Il y écrivait que, si
l’Allemagne parvenait à croire que l’Entente cordiale entraînait une solidarité
sur les champs de bataille, la cause de la paix en serait préservée. Mais le
souverain anglais était-il capable d’une réponse différente de celle, évasive,
que lui préparerait inévitablement le Foreign Office ?
Au même moment, Pierre de Margerie recevait au Quai d’Orsay
l’ambassadeur d’Angleterre, sir Francis Bertie. Comme toujours, quelle que
fût la saison, ce dernier était revêtu de sa redingote grise et de son chapeau
haut de forme, sans oublier son inusable parapluie doublé de tissu vert pomme.
Infatigable, inébranlable Margerie ! C’était à croire
que la crise le revigorait. D’une manière calme et ferme, le directeur des
Affaires politiques se mit en devoir de rassurer son interlocuteur : bien
sûr, le gouvernement français était déterminé à respecter la neutralité de la
Belgique. C’est seulement dans le cas où cette neutralité serait violée par une
autre puissance que la France, pour des raisons de sécurité, pourrait être
contrainte d’agir différemment.
Sir Francis s’empressa de câbler l’information à Grey.
Le ministre n’en fut guère surpris. En réalité, c’était la réponse allemande à
cette même interrogation sur la neutralité belge qu’il attendait avec anxiété.
Et celle-ci tardait à venir.
À Paris, le Conseil des ministres siégea sans désemparer.
Réuni dès neuf heures à l’Élysée, il donna lieu à des scènes irréelles.
Même si certains ministres s’obstinaient à le trouver en pleine forme, reposé
et salé par son voyage en mer, le chef du gouvernement était visiblement en
proie à une effroyable tension nerveuse. Des ministres comme
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