1914 - Une guerre par accident
conférence internationale puis de médiation. Grey
n’en était pas encore revenu. Deux jours plus tôt, il se voulait encore
optimiste :
— Que je les aie tous autour d’une table et personne ne
se dressera, ne fût-ce que pour décharger un revolver [242] !
Contrairement aux fois précédentes, personne n’avait accepté
de s’asseoir autour d’une même table. Il était clair désormais que cette crise
ne se résoudrait pas comme les autres.
Certes, le chef de la diplomatie britannique connaissait mal
ce continent européen où il n’avait presque jamais mis les pieds. Il se
souvenait y être passé, dans le temps, sur la route des Indes. Une autre fois,
il avait accompagné le roi Édouard en visite officielle à Paris. C’était peu.
Un continent européen dont il ne parlait aucune langue sauf peut-être un peu de
français, et encore assez mal.
Grey aurait pu également se reprocher son attentisme passé
et ses déclarations d’une prudence ambiguë. Que de mauvais signaux avaient été
envoyés à ses adversaires, comme d’ailleurs à ses partenaires !
À sa décharge, Grey ne détenait pas à lui seul la solution
du problème européen. Après tout, le bellicisme incontrôlable de l’Autriche et
l’inconscience de l’Allemagne étaient bien les premiers responsables de la
catastrophe qui était en train de se profiler.
Depuis le lundi 27 juillet, date de la première réunion
de cabinet consacrée à la crise internationale, Grey faisait feu de tout bois.
De son bureau du Foreign Office, sir Arthur Nicolson multipliait les
initiatives. Sur le terrain, à Saint-Pétersbourg avec George Buchanan, à Berlin
avec Edward Goschen ou encore à Paris avec Francis Bertie, les diplomates de Sa
Majesté faisaient preuve de talent et de persévérance. En vain, hélas.
Sir Edward, lui, était harcelé au moins deux fois par
jour par Cambon sur l’attitude de l’Angleterre :
— Le moment est-il venu enfin ?
— Il sera venu quand la position de l’Allemagne sera
parfaitement claire [243] !
L’ambassadeur français était désemparé. C’était toute son
œuvre depuis seize années, le rapprochement avec l’Angleterre, qui était en
jeu. Il n’hésitait plus à poursuivre Grey jusqu’à sa résidence privée, à
Eccleston Square. Une résidence qui était d’ailleurs le domicile de lord Haldane,
lequel hébergeait en toute discrétion son collègue depuis plusieurs mois.
En cette fin d’après-midi du 31 juillet, sir Edward
avait un autre sujet de préoccupation lié à l’ouverture probable des
hostilités : la Belgique.
La difficulté était de taille. Petit État coincé entre
l’Allemagne et la France, la Belgique était devenue indépendante en 1830. Elle
avait été reconnue par les grandes puissances de l’époque sur la base d’une
neutralité à peu près calquée sur le modèle suisse. Il s’agissait alors
d’éviter les convoitises du roi de France Louis-Philippe sur la Belgique. Les
choses avaient bien changé au fil du temps, même si Napoléon III avait,
lui aussi, joué avec l’idée d’annexer la Belgique.
Malgré ces changements, les parrains qui garantissaient la
neutralité belge étaient restés les mêmes. Parmi ceux-ci : la Prusse,
devenue l’Allemagne, la France et l’Angleterre.
Grey n’était pas naïf. Il imaginait bien que la Belgique
serait la première victime d’une offensive allemande si, d’aventure, celle-ci
devait se développer à l’ouest. Aussi envisageait-il sérieusement de poser à
l’Allemagne la question de confiance au sujet de la neutralité belge. Afin
d’éviter tout soupçon de partialité, il poserait une question identique au
gouvernement français.
La manœuvre de Grey était un peu celle du gouvernement de
William Gladstone au moment de la guerre franco-prussienne de 1870. À l’époque,
interrogées par Londres, la France et l’Allemagne s’étaient entendues pour
respecter la neutralité belge.
Mais les événements se précipitaient, à Londres comme dans
les autres capitales européennes. Dans la matinée du 31 juillet au palais
de Buckingham, le roi George V s’était entretenu de la situation
internationale avec le Premier ministre Asquith. L’après-midi, il avait
rencontré lord Herbert Kitchener. L’ancien héros du Soudan était une légende
vivante. Deux jours auparavant, le souverain l’avait fait comte Kitchener de
Khartoum et de Broome, dans le comté de Kent.
Commandant
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