1942-Le jour se lève
russe.
Mais ces actions se paient d’un lourd tribut : au mont Valérien,
dans la clairière du fort, des otages sont fusillés par dizaines : 70 le 15 décembre
1941, 88 le 11 août 1942, et 118 le 10 septembre 1942.
N’est-ce pas un prix trop élevé ?
Ne faudrait-il pas se contenter de « renseigner »
les Alliés, de préparer ainsi leurs attaques aériennes, leurs actions de
commando ?
Tuer – « assassiner », disent certains –
des soldats allemands provoque des représailles sanglantes, dans lesquelles
sont conduits au poteau des otages innocents.
Mais en ce début d’année 1942, ces débats sont tranchés dans
les faits : on tue, on est torturé, déporté, fusillé.
Et les Allemands ne sont pas seuls à se livrer à la traque, à
la chasse aux terroristes.
Politiciens « français », gendarmes « français »
débusquent, arrêtent, livrent aux Allemands des « communistes », des « judéo-bolcheviks »
« apatrides ».
Dans le Nord, le préfet promet aux gendarmes de verser une
prime de 100 000 francs à celui qui parviendra à tuer le « terroriste »
Eusebio Ferrari.
Le but est atteint.
Pourtant, en ce début de l’année 1942, en France, ce n’est
encore ni la « guerre civile » ni la « guerre totale ».
La France reste, pour les hommes de la Wehrmacht, en dépit
des attentats et des sabotages, une terre où la mort ne les harcèle pas.
Ils peuvent y vivre des amours.
Ils peuvent s’asseoir à la terrasse d’un café, fréquenter
les music-halls et les bordels, boire du champagne, acheter de la « lingerie
fine », visiter les musées, les jardins de Versailles, et se souvenir du
livre de Friedrich Sieburg intitulé Dieu est-il français ?
On peut même oublier parfois que l’on est en guerre, qu’on
occupe ce pays, qui continue cependant de vivre, d’aimer, de rire, de chanter « Ça,
c’est Paris ! ».
On voudrait nouer des amitiés avec ce père et sa fille
propriétaires de la maison où l’on a pris ses quartiers.
On leur parle.
On voudrait qu’ils s’étonnent de la maîtrise du français que
l’on manifeste, de l’admiration pour la France qu’on affirme.
Mais ils se taisent, vous ignorent.
C’est Le Silence de la mer.
Et tout à coup une explosion. La centrale électrique voisine
vient de sauter. Sabotage.
On reçoit une lettre de dénonciation et on arrête treize
jeunes communistes, des Français et des Italiens, qui seront jugés et fusillés.
La guerre est là.
On reçoit son ordre d’affectation. On part pour le front de
l’Est.
On sait que là-bas, en Russie, la mort règne en souveraine.
On fait ses adieux aux Français, à ce père et à cette fille
qui vous ont ignoré.
On devine leur émotion !
On quitte la France comme si l’on venait d’apprendre qu’on
est condamné à mort.
On part pour la Russie.
7 .
Le train roule vers Paris, vers le « front de l’Est » !
Pas de chants dans les wagons des convois de troupes. Quelquefois
les notes métalliques, aiguës d’un harmonica.
On ne regarde même pas ces étendues illimitées, couvertes d’une
neige grise, qui se confond avec le ciel bas.
On essaie de ne pas penser à ces 2 millions d’hommes
qui sont là-bas et survivent en combattant. On refuse d’imaginer ces vagues d’assaut,
des « sous-hommes » qui grouillent comme des poux, qui ont déjà tué, en
quelque six mois, plus de 500 000 des « nôtres ».
On massacre ces Untermenschen. On brûle leurs isbas. On
éventre leurs mères, leurs sœurs, leurs épouses. On tue leurs enfants, mais ces
poux sont innombrables. Ils se battent comme des fous et tout à coup ils
jettent leurs fusils, et ils se rendent. On les entasse par millions dans des
camps de prisonniers où on les laisse mourir de faim, crever de froid.
Ciano, le ministre des Affaires étrangères de Mussolini, a
même écrit dans son journal, dans les premiers jours du mois de janvier 1942
après avoir dîné avec le Reichsmarschall Goering :
« Goering était impressionnant quand il a parlé des
Russes qui se mangent entre eux et qui ont même dévoré une sentinelle allemande
dans un camp de prisonniers. Il racontait cela avec l’indifférence la plus
absolue. »
On refuse de penser, d’imaginer.
On ferme les yeux pour mieux se souvenir des quelques jours
de permission passés en Allemagne.
« Oh oui, nous étions vraiment des héros ! Rien
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