1942-Le jour se lève
n’était
assez beau ni assez bon pour nous au pays, et les journaux ne tarissaient pas
des exploits de nos camarades que nous allions rejoindre. Le front de l’Est !
Ces mots avaient une résonance particulière… Quand vous disiez aux gens que
vous y partiez, tout se passait comme si vous ne deviez jamais en revenir. Chacun
devenait plus amical, faisait preuve d’une sorte de cordialité un peu forcée, avec
cette curiosité animale et ce regard spécial que l’on porte sur une chose
condamnée.
« En notre for intérieur, nous étions nombreux à le
croire. Nous parlions de notre “fin”. Quelque tireur d’élite, l’un de ces
salopards, de ces snipers mongols aux yeux fendus, guetterait bien chacun de
nous. Une chose nous tracassait beaucoup : nos corps seraient-ils renvoyés
au pays, dans ce Reich pour lequel nous allions mourir, afin que nos enfants, nos
épouses et nos mères puissent venir sur nos tombes ? »
Nous entrions en Russie, peu après avoir franchi la
frontière allemande à Poznan.
Les trains stationnent là, parfois plusieurs dizaines d’heures,
les uns près des autres, dans cette zone de triage. On entend les plaintes des
blessés, nos « camarades », entassés dans un train sanitaire.
Et l’on raconte que l’un de ces trains-infirmerie aux wagons
plombés, sans marques sur les wagons – pour ne pas attirer l’attention des
partisans russes –, est resté plusieurs jours immobilisé sans que les
cheminots osent ouvrir les portes, faute d’ordre.
Et 200 blessés allemands sont morts.
On entend aussi les plaintes provenant de ces autres wagons
plombés, pleins de prisonniers russes, qui crèvent, entassés. On distingue des
cris de femmes et d’enfants, on sait bien qu’il y a aussi des convois de Juifs
de tous âges, qu’on dirige vers…
On refuse de penser au-delà.
On est des soldats.
Les Untermenschen, les judéo-bolcheviques n’ont
aucune pitié pour nos camarades blessés. Ils ne respectent aucune convention. Alors, Befehl ist befehl, un ordre est un ordre.
On fusillera à la mitrailleuse des hommes, des femmes et des
enfants, on les poussera à coups de crosse dans des wagons où ils vont mourir. Ils
sont des Untermenschen , de la graine de partisans.
Befehl ist befehl.
Et tout refus d’obéissance est puni de mort.
On ne veut pas voir plus loin que les isbas situées de l’autre
côté de la rue du village et dans lesquelles sont retranchés les Russes.
On attaque, on les chasse. Ils reviennent. On s’accroche. Notre
artillerie les écrase. Et nous n’exultons même pas. On se bat avec désespoir et
fatalisme.
On murmure qu’il y a des querelles entre généraux. On n’ose
évoquer l’opposition de certains d’entre eux aux projets du Führer.
Le 29 janvier 1942, Ciano écrit dans son journal à l’occasion
de la visite de Goering à Rome :
« Le Duce s’est entretenu hier pendant près de trois
heures avec Goering… Celui-ci est très amer du fait des événements de Russie et
il s’en prend aux généraux de l’armée qui sont des nazis tièdes ou ne sont pas
nazis du tout. Il pense que les difficultés dureront encore tout l’hiver, mais
reste malgré tout convaincu que la Russie sera battue en 1942 et que l’Angleterre
devra déposer les armes en 1943. »
Goering séjourne à Rome pour convaincre Mussolini d’envoyer
plusieurs divisions italiennes en Russie, car le Führer prépare une grande
offensive pour l’été 1942. Il a besoin de troupes de ses alliés pour couvrir
les flancs des divisions allemandes qui seront le fer de lance de cette
offensive. Italiens, Roumains, Hongrois sont ainsi sollicités.
Hitler n’admet pas que ses généraux discutent le plan qu’il
leur présente. L’offensive déclenchée au début de l’été 1942 se déploiera selon
trois axes.
Au nord – première flèche –, on attaquera
Leningrad, qui devra tomber, et au centre on maintiendra la pression sur Moscou.
Le deuxième axe, à partir de Kharkov, visera le Don et
au-delà, sur la Volga, tout proche de la bouche du Don, Stalingrad. De là, une
fois la ville tombée, on pourra prendre à revers Moscou.
Enfin tout au sud on pénétrera dans le Caucase, terre à blé,
au sous-sol réserve de minerais rares, et sur les rives de la mer Noire et de
la mer Caspienne riche de pétrole.
Les généraux (Reichenau, qui mourra bientôt d’une crise
cardiaque, Manstein, Model, Paulus, Halder)
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