1943-Le souffle de la victoire
mines dans la Volga. Ils bombardent Moscou.
« Ils ne prendront pas Moscou, écrit Ehrenbourg – le romancier qui, dans La Chute de Paris , a décrit l’entrée des Allemands en juin 1940 dans la
capitale – mais ils haïssent Moscou, symbole de leurs échecs, ils essaieront
de la défigurer, de l’abîmer. »
En fait, l’armée Rouge dispose d’un imposant armement, de
matériel d’origine américaine pour une bonne part.
Les Russes ont la maîtrise du ciel. Ils font des raids
incessants sur les communications allemandes, par vagues de 200 bombardiers
et de 200 chasseurs, nuit et jour.
Les camions américains se comptent par dizaines de milliers,
et donnent à l’armée Rouge une grande mobilité.
Et cependant l’anxiété est sensible.
L’offensive allemande se déclenchera et on la craint.
Dans son ordre du jour de mai 1943, Staline célèbre les
victoires anglo-américaines en Tripolitaine, en Libye, en Tunisie, mais il
ajoute :
« Toutefois, les catastrophes qui s’abattent sur l’Allemagne
et l’Italie ne doivent pas nous inciter à considérer la guerre comme gagnée.
« Des batailles très dures attendent encore l’Union
soviétique et ses alliés occidentaux, mais le temps approche où l’armée Rouge
et les armées de ses alliés briseront l’échine de la Bête fasciste. »
En fait, plus que les incertitudes de la guerre, Staline
craint les arrière-pensées des puissances occidentales, et ces dernières s’inquiètent
des projets russes.
Ainsi, les premiers mois de 1943 sont-ils le temps du
soupçon.
Les Allemands veulent briser l’alliance
anglo-américano-russe, et Staline s’inquiète de l’attitude de ses alliés. Il
veut les rassurer. Il donne des gages.
Le 22 mai, il annonce la dissolution du Komintern qui rassemblait tous les partis communistes.
Puis il décide que L’Internationale cesse d’être l’hymne
national soviétique.
Cependant, à Londres et à Washington, l’affaire de Katyn a montré
la volonté hégémonique de Staline. N’a-t-il pas créé ce Comité de l’Allemagne
Libre qui arbore le drapeau noir-blanc-rouge de l’Empire allemand des
Hohenzollern ?
Pourquoi regrouper des officiers allemands prisonniers et
leur donner la parole, sinon pour contrôler la future Allemagne ?
Mais, s’interroge Staline, pourquoi les Alliés renoncent-ils
à ouvrir un second front en Europe et précisément en France ? Staline
insiste, martèle des reproches.
« Les troupes soviétiques, écrit-il, se sont battues victorieusement
pendant tout l’hiver. Hitler prend maintenant toutes les mesures nécessaires
pour renforcer son armée en vue du printemps et de l’été. Il est donc essentiel
qu’un grand coup soit frappé à l’ouest. Il serait très périlleux de remettre à
plus tard le second front en France. »
Churchill tente de le rassurer, annonce une nouvelle vague
de bombardements sur les villes allemandes : Francfort, Essen, Berlin par
des vagues de Forteresses volantes opérant de nuit et de jour. Il va, dit-il,
envoyer un film montrant des centaines de bombardiers à l’œuvre.
« Ces images feront sans doute plaisir à vos soldats
qui ont vu tant de villes russes en ruine », écrit Churchill.
Second front ! Second front ! répète Staline.
Il est furieux, inquiet. Il sent l’offensive allemande d’été
imminente. Il écrit à Roosevelt :
« Ainsi, en mai 1943, vous avez décidé avec Churchill
de remettre au printemps 1944 l’invasion américaine en Europe occidentale. De
nouveau, il va nous falloir combattre seuls. »
Lorsqu’il s’adresse à Churchill, Staline menace.
« Le maintien de notre confiance dans les alliés est
mis à rude épreuve », dit-il.
Churchill répond avec la même franchise.
Il n’est pas « impressionné, écrit-il. L’Angleterre a
dû combattre seule jusqu’en juin 1941. En ce temps-là, avant juin 1941, les
dirigeants communistes caractérisaient le conflit comme une “guerre
impérialiste” »…
Après cette passe d’armes, la sagesse et les intérêts l’emportent.
Nécessité fait loi. Il faut se faire confiance, oublier – ou plutôt
remiser – les griefs. On répète qu’on exigera la reddition inconditionnelle
de l’Allemagne et de ses alliés.
Le 11 juin à Moscou, Molotov donne un grand déjeuner
pour célébrer l’anniversaire de l’accord soviéto-américain.
Le journaliste Alexander Werth constate :
Weitere Kostenlose Bücher