1944-1945-Le triomphe de la liberte
boue.
Respirer cet air « pourri » donne envie de vomir.
Marcher dans cette boue est un calvaire.
« Des coussins d’une livre de boue collent aux bottes
des soldats, raconte Vassili Grossman. Parfois, ils ne parcourent pas plus d’un
kilomètre en une heure tellement ce chemin est pénible. Il n’y a pas un endroit
sec à des dizaines de kilomètres à la ronde et pour souffler ou se déchausser
les soldats s’asseyent dans la boue.
« Les servants de mortiers font route à côté des
fusiliers, chacun portant sur soi une demi-douzaine de bombes accrochées avec
des ficelles sur le dos et sur la poitrine.
« Peu importe, disent les soldats, pour les Allemands
c’est encore pire, pour les Allemands c’est la fin. »
Mais la boue ne recouvre pas les cadavres, elle les
emprisonne, elle colle à eux comme un sarcophage. Elle décompose les chairs qui
se confondent dans les fosses communes. Car les Allemands ont massacré les
Juifs de chaque ville et de chaque village.
Ils se sont conduits en bourreaux, en propriétaires
d’esclaves.
« Je connais un village, témoigne un paysan où le SS
ordonnait au starosta – le “maire” nommé par les Allemands et dont
le SS est le maître – de lui procurer chaque nuit des jeunes filles, y
compris des filles de 13 ou 14 ans. »
Le 10 avril, les Russes entrent à Odessa.
Les Allemands ont eu le temps de transformer en amas de décombres
le port, la plupart des usines et plusieurs grands immeubles.
Ils ont fait sauter les conduites d’eau, les centrales
électriques. Il faut creuser des puits pour avoir de l’eau !
Le correspondant du Sunday Times , Alexander Werth,
écrit que la ville « n’est plus tout à fait l’Odessa que j’ai connue
jadis ».
C’est une ville sans Juifs, alors que leur importante
communauté avait joué un rôle essentiel dans le développement du grand port de
la mer Noire. Ils ont été déportés, abattus, pendus, exterminés.
Certains se sont réfugiés dans les catacombes de la ville,
là où se sont aussi terrés les « partisans », et les déserteurs de la
Wehrmacht, Alsaciens, Polonais, Slovaques.
Dans ces souterrains où s’abritaient quelques milliers de
partisans, plusieurs nids de mitrailleuses défendaient l’accès des couloirs
principaux, les vivres de secours, les puits et les dépôts d’armes.
Mais c’est l’armée Rouge et non les « partisans des
catacombes » qui ont libéré la ville.
Et après quelques jours, les Russes lancent une nouvelle
offensive dont le but est la reconquête de la Crimée et de Sébastopol, cet
autre grand port de la mer Noire.
Dans son Grand Quartier Général, Hitler laisse éclater sa
colère.
Le colonel-général Jeanicke vient d’oser dire qu’il ne peut
pas tenir Sébastopol.
Les Russes, argumente-t-il, disposent de
470 000 hommes, d’un matériel considérable. Leur flotte contrôle la
mer Noire et on ne pourra évacuer les troupes. Pas de Dunkerque possible à
Sébastopol.
Nous sommes 50 000, dit Jeanicke.
Hitler hurle. Qui parle de Dunkerque !
La Crimée, dit-il, a été le « dernier bastion des
Goths ». Il compte même finir ses jours, après la victoire, dans le Palais
des Tsars !
Il ne veut pas que la Crimée devienne le porte-avions de la
Russie d’où l’on s’envolera pour frapper l’Allemagne et les puits de pétrole
roumains de Ploiesti.
Jeanicke est limogé.
Le colonel-général claque les talons et rédige aussitôt un
message d’adieu à ses hommes.
« Le Führer m’a appelé à d’autres fonctions. Je dois
donc dire un adieu amer à mon armée.
« C’est avec une profonde émotion que je me souviendrai
de votre courage exemplaire.
« Le Führer vous a confié un devoir d’une importance
historique.
« La XVII e armée tient Sébastopol et à
Sébastopol les Soviets seront taillés en pièces. »
Le 5 mai, les Russes attaquent la crête de Sapoun, une
colline qui domine d’une soixantaine de mètres Sébastopol. C’est « la clé
de Sébastopol ».
L’armée Rouge écrase ses défenseurs sous le feu de centaines
de mortiers. Les bombardements aériens durent plusieurs heures. Puis, les
lignes de tranchées ayant été bouleversées, transformées en fosses,
l’infanterie lance son « Hourra ! ».
Les pertes sont de part et d’autre considérables.
Le 9 mai, Hitler se résigne à donner l’ordre
d’évacuation. Il est trop tard. Les 50 000 Allemands
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