1944-1945-Le triomphe de la liberte
il serre son cigare éteint entre ses dents.
« Je prends sur moi de vouloir vous mettre dans le
secret, commence Churchill. Le Débarquement, l’opération, devait avoir lieu ce
matin, mais le mauvais temps nous en a dissuadés. »
Il se lève, gesticule devant une carte, parle des sites
choisis entre la Seine et le Cotentin. De Gaulle se souvient du plan identique
que Billotte avait esquissé en 1942, et qu’il avait soumis en vain aux généraux
américains.
« Il ne reste plus beaucoup d’espoir de commencer
l’opération avant le jour J + 3, explique Churchill, mais la
situation sera réexaminée toutes les vingt-quatre heures. »
« Bien entendu, je n’ai pas été informé de la date au
préalable, répond de Gaulle. Quoi que les événements prochains doivent coûter à
la France, elle est fière d’être en ligne aux côtés des Alliés »,
continue-t-il.
Il sent un « souffle d’estime et d’amitié » unir
un instant tous les présents.
Il dit son admiration pour cette opération d’une importance
exceptionnelle.
On échange encore quelques informations, puis, à
14 h 15, on passe dans le wagon voisin pour le déjeuner.
En attendant le déclenchement du Débarquement, dit Churchill
au dessert, « nous pourrions parler politique ».
De Gaulle se raidit. Il fixe le Premier ministre. C’est le
moment. Peut-être la vraie raison de cette réception, de ces amabilités. Lui
faire accepter les solutions américaines.
« Voilà un certain temps que je corresponds avec le
Président », commence Churchill.
De Gaulle ne répond pas quand le Premier ministre, puis
Eden, puis le leader travailliste Bevin insistent pour que de Gaulle se rende
aux États-Unis afin de rencontrer Roosevelt. Ils veulent aussi commencer ici
même les conversations politiques.
« C’est la guerre, faites-la, on verra après, répète de
Gaulle.
— Si cette offre est rejetée, dit Bevin, le Parti
travailliste en sera offensé. »
De Gaulle se tourne, fixe le ministre travailliste.
Oui, la colère peut et doit s’exprimer. C’est aussi une
arme.
« Comment ! s’exclame-t-il. Nous vous avons envoyé
des propositions depuis septembre dernier. Vous ne nous avez jamais répondu. Le
gouvernement français existe, je n’ai rien à demander dans ce domaine aux
États-Unis, non plus qu’à la Grande-Bretagne. »
Il parle d’une voix tonnante. Il dit que les
Anglo-Américains ont toujours refusé d’évoquer la question de l’administration
des territoires libérés.
« Comme demain les armées vont débarquer, je comprends
votre hâte de voir régler la question. D’ailleurs, Londres et Washington ont
pris leurs dispositions pour se passer d’un accord entre nous. Je viens
d’apprendre par exemple qu’en dépit de nos avertissements les troupes et les
services qui s’apprêtent à débarquer sont munis d’une monnaie prétendument
française, fabriquée par l’étranger. Comment voulez-vous que nous traitions sur
ces bases ? »
Il s’interrompt. Le silence est lourd.
« Allez, faites la guerre avec votre fausse
monnaie ! » lance de Gaulle sur un ton de mépris.
Le visage de Churchill est empourpré.
« Que le général de Gaulle aille ou non rendre visite
au Président, cela le regarde, dit-il. Mais je le lui conseille
fortement. »
Quelques échanges encore, puis tout à coup de Gaulle voit
Churchill qui se dresse à demi, qui vocifère :
« Sachez-le, Général ! Chaque fois qu’il nous
faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous serons toujours pour le
grand large. Chaque fois qu’il me faudra choisir entre vous et Roosevelt, je
choisirai toujours Roosevelt. »
Bevin murmure que Churchill a parlé pour son compte et
nullement au nom du cabinet britannique.
Silence. De Gaulle ne bouge pas. Churchill lève son verre.
« À de Gaulle, qui n’a jamais accepté la défaite,
dit-il d’une voix lente et sourde.
— À l’Angleterre, à la victoire, à
l’Europe ! » lance de Gaulle.
On marche dans la bruine jusqu’à une grande tente située à
quelques centaines de mètres dans la forêt.
Eisenhower est aimable. Il expose devant des cartes le
déclenchement de l’opération Overlord et son plan de bataille.
Mais il devra peut-être le retarder compte tenu des
mauvaises conditions météorologiques.
« À votre place, je ne différerais pas », dit de
Gaulle.
Comment garder le secret, maintenir un moral élevé pendant
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