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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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écorchées, et se mit à escalader le ravin pour trouver des mûres. La faim était à présent plus forte que la peur. Son cœur ne battait plus aussi fort ; il n’entendait plus rien que les cris des corbeaux. Les buissons de mûres étaient déjà fort dégarnis, mais à force de chercher il réussit quand même à s’en emplir la paume ; au moindre craquement de branches, il s’arrêtait, restait tapi quelques secondes, retenant le souffle, puis il avançait encore de quelques pas, écrasant du pied les grosses branches couvertes d’épines.
    Il mangea une baie, puis une autre, puis il s’aperçut qu’il ne lui restait presque rien. Alors il s’enhardit, et traversa en rampant une petite clairière pour escalader un rocher où il y avait un gros taillis de mûriers. Il voyait à présent le champ labouré et les fumées du village ; à une vingtaine de pas, les arbres étaient déjà noirs et la terre brûlée. Il trouva encore une vingtaine de mûres, sèches et mangées par les mouches, puis la lourde odeur de charogne qui planait sur cet endroit le força à s’arrêter ; il s’allongea sur la pierre, pris d’un étourdissement, puis vomit les mûres qu’il venait de manger. Et en levant les yeux il vit à quelques pas de lui le chêne-liège avec l’homme pendu.
    L’homme portait une tunique de toile avec une croix rouge sur la poitrine ; il avait les mains et les pieds coupés ; il n’avait plus de figure. Auberi poussa un hurlement de terreur, sauta du rocher, et s’enfuit, laissant tomber les mûres qu’il avait dans la main. Il s’arrêta, guetta quelques instants, peut-être l’avait-on entendu crier, peut-être les gens du village guettaient-ils derrière les taillis brûlés et allaient venir là, alertés par son cri – ils allaient le prendre et lui couper les mains et les pieds. Il colla l’oreille à la terre. Il n’entendait rien, non. Il attendit, défaillant de peur, puis, se souvenant du vieux, il fit un effort sur lui-même, retourna sur ses pas et ramassa les mûres qu’il avait laissées tomber. Il n’osait plus lever la tête, de peur d’apercevoir le cadavre. Les corbeaux tournaient autour de l’arbre, inquiets.
    Auberi se mit à courir vers le ravin, serrant les mûres dans sa main, son cœur se déchirait d’horreur, et de pitié pour lui-même, lui qui n’avait fait de mal à personne, on le traquait, on voulait le torturer ; il se sentait presque coupable de quelque crime affreux qu’il aurait commis sans le savoir. Il fallait se cacher, autrement on lui couperait les mains et les pieds. Il croyait voir l’homme à la croix rouge pendu à tous les arbres de la forêt.
    Il revint près du vieux, et se blottit contre lui, comme si c’était son plus sûr refuge. Ansiau sentait le cœur de l’enfant battre de façon si saccadée qu’il eut peur. « Dieu, pensait-il, qu’ai-je fait de cet enfant ? Que me dira sa mère au jour du jugement ? Auberi, mon agneau, mon écureuil, enfant de mon cœur, comment pourrai-je te protéger ? » « Va, dit-il, mange tes mûres toi-même, je n’ai pas faim. Essaie de dormir. Nous redescendrons sur la route quand il fera nuit. »
    Auberi lui dit qu’il avait trop peur, il y avait le cadavre d’un homme aux mains et aux pieds coupés, d’un homme croisé à croix rouge. Ansiau se signa. « C’était donc un Français. Dieu ait son âme.
    — Mon seigneur, il va nous faire mourir de peur. Il doit hanter ce bois.
    — Non, mon petit garçon, c’est un péché de dire cela. Quand un homme meurt ainsi, c’est le péché de ceux qui l’ont fait mourir qui hante les lieux, et il ne fait de mal qu’à ceux qui sont mauvais eux-mêmes. Toi, tu es un enfant innocent. Et sache que les prêtres nous enseignent que quand un homme meurt dans de telles angoisses, fût-il le pire des bandits, Dieu lui-même prend son âme dans ses mains pour le consoler, en souvenir de ce que Lui-même a souffert sur la croix. Il y a de grandes chances que cet homme soit déjà un bienheureux qui voit la face de Dieu et qui peut prier pour nous. Dieu nous donne à tous une telle mort.
    — Oh non », dit l’enfant.
    « C’est vrai, pensa Ansiau, il est encore bien jeune. »
    Après le coucher du soleil, l’enfant et l’aveugle descendirent sur la route à travers le bois, et réussirent à retrouver Bertrand, qui s’était blotti dans une encoignure de rocher près de la route. « Vous y avez mis du temps, dit-il,

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