22 novembre 1963
Sauveur a prédit, il est venu, et c’est l’hérésie elle-même qui est l’Antéchrist avec son faux air de sainteté qui séduit le monde, et c’est elle aussi qui est la Bête. Car il y en a tant et tant qui sont séduits que ni l’Église ni la croisade ne pourront rien contre elle. Il a été dit : tous les habitants de la terre l’adoreront ! Voyez, elle se répand déjà dans le Nord et jusqu’en Empire. Elle a les cornes de l’agneau et parle comme un dragon. N’avez-vous donc pas vu nos frères et les prêtres des villages persécutés et honnis dans tout le pays ?
— Ce ne sont pas les hérétiques qui nous font la guerre, dit le jeune moine avec amertume. La maison de mes parents a été brûlée et mes sœurs violées.
— Vous ne l’entendez pas dans le sens spirituel, frère Enguerrand. Le mal appelle le mal, et du mal il ne sort que du mal, jusqu’à ce que les temps soient révolus. Vous blasphémez grandement en disant que les hérétiques ne nous font pas la guerre. Que sont tous les malheurs de la guerre – malheurs bien communs en tout temps – à côté de cette pourriture de l’âme qui s’est emparée du pays tout entier ? Sur une plaie purulente, il faut bien mettre le fer rouge, et notre Saint-Père, le pape, a bien vu que c’était là le seul remède. Allez-vous, comme les gens du peuple, maudire les croisés parce qu’ils sont du Nord, et ne parlent pas notre langage ?
— Dieu m’en garde, frère Humbert. Mais est-ce par le bras séculier et des hommes pécheurs que Dieu veut vaincre ? Il a bien montré que non, puisque toute leur chevalerie n’a pu empêcher le Saint-Sépulcre d’être repris par les païens. Voyez : ces gens se servent de routiers contre notre chevalerie, et utilisent la guerre sainte pour servir leurs ambitions.
— Ce sont là propos bien frivoles, frère Enguerrand. Rien de ce que peuvent faire les hommes n’est parfait. Voilà bien l’orgueil diabolique qui mène droit à l’hérésie. Si la guerre sainte elle-même devient objet de scandale, jusque dans les cœurs des moines, comment ne pas croire que les temps sont vraiment révolus ? Car l’Antéchrist séduira jusqu’aux plus fidèles et les détournera de l’obéissance. C’est par la fausse pitié, frère Enguerrand, et par la fausse charité qu’il veut vous séduire maintenant. Pensez-vous que les âmes des innocents qui sont tombés dans cette guerre n’ont pas déjà reçu vingt fois plus que leur dû de béatitudes célestes, et qu’ils ne remercient pas ceux que vous croyez leurs bourreaux ? Ce sont eux les bienheureux, et non pas nous qui restons exposés aux tentations terribles des derniers temps. »
Bertrand écoutait les propos des moines avec une joie mauvaise. « Voilà comment ils se consolent, ceux-là, pensait-il, ils sont du pays, eux, et les maisons de leurs parents brûlent, ils voient bien ce que coûte la guerre qu’ils ont amenée dans le pays. Et leur pape leur promet des béatitudes célestes pour des meurtres et des viols – pour ce que cela lui coûte ! Suis-je assez fou pour dire, comme certains des nôtres, que c’est lui l’Antéchrist ? Innocent ! Quel nom il a pris ! Non, nous ne sommes pas près encore de voir la fin des temps. Trente-trois siècles ne suffiront pas pour venir à bout de toute l’impureté qui souille les cœurs des hommes. »
« Béatitudes célestes, pensait-il encore, en se répétant les paroles des moines. Ô la facile promesse, qui absout de tout et console de tout. Ô le suprême mensonge de la Bête. Comme il leur est facile de vivre, avec cet espoir mensonger. Non, jamais je ne prendrai leur foi. Il peut être permis de fléchir quand on a le couteau des assassins sur la gorge ; mais avec sa propre conscience on ne triche pas. » Non, Dieu sait, il n’avait pas, de remords. Non, toute la faute était sur Constanza. Qu’ils ont raison, ceux de l’ancienne Église, de ne pas confier aux femmes le ministère divin ! Par sa précipitation, par sa légèreté de femme, elle avait causé la mort des fillettes, et de ses amis, et fait son malheur à lui. En leur donnant la Consolation à tous, elle les avait poussés à la mort. Eh bien, oui, eût-ce été un si grand péché d’abjurer pour sauver leur vie ? Et lui, elle l’avait précipité dans un malheur plus grand encore, par elle il avait reçu l’Esprit Saint pour le profaner aussitôt en abjurant ; à présent, dût-il vivre
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