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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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Riquet. Moi, je suis d’avis qu’il vaut mieux rester.
    — Très bien, dit le vieux, nous partirons sans toi, alors. »
    Riquet ne s’attendait pas à cela. Il regarda longuement le vieillard, et rougit. « Pourquoi ne resteriez-vous pas huit jours de plus, que diable ? Ce n’est pas grand-chose, huit jours, pourtant.
    — Avec toi, bel ami, huit jours peuvent bien durer trois semaines. On suit les compagnons ou on court les filles. Pas les deux à la fois. »
    Riquet resta silencieux deux bonnes minutes, se mordant les lèvres ; puis il se redressa brusquement, et secoua la tête comme pour chasser des pensées importunes.
    « Après tout, chacun pour soi, dit-il avec effort. Tant pis, je reste ! »
    Bertrand, indifférent à tout, allongé sur le seuil de l’étable, chantonnait à mi-voix des chansons de troubadours.
    C’était Ansiau surtout qui était pressé de partir. Il disait qu’il ne fallait pas être pris par le vent et le gel en montagne, et que la route devait être dure de Pamiers à Marseille. Il ne voulait pas se l’avouer : il était las d’entendre Riquet rire et plaisanter avec la jeune fille.
    Il n’eût jamais cru qu’à son âge il pût encore penser à une femme. Il ne la désirait pas, non – le pouvait-il ? Mais elle avait une voix si bonne à entendre, et Auberi et Riquet la disaient si belle – Auberi en était presque aussi fou que Riquet – et il l’imaginait avec une vague figure blonde, blanche et rose, un peu comme la dame Aalais, jeune. Et il lui était dur d’être encore un homme, aussi capable de sentir et de penser que ce petit bavard, et d’être ainsi traité comme une pauvre loque humaine qui n’a qu’à se tenir tranquille dans son coin. Lui, pensait-il, devait être trop content d’avoir sa tranche de pain à l’ail et sa bolée de vin vert. Il connaissait pourtant plus d’histoires et de chansons que Riquet ; et la jeune fille prenait une voix si gaie et si douce pour répondre à ce moinillon vagabond – et quoi, ce garçon ne pensait qu’à la séduire, c’est ainsi qu’il remerciait les braves gens de leur hospitalité. De cela, Ansiau ne voulait à aucun prix. Riquet devait être beau, la fille avait des yeux, Riquet aussi avait des yeux, c’est par les yeux qu’on se connaît, par les yeux que l’on aime, l’homme sans yeux est pire qu’un châtré, on le regarde comme on regarde un bout de bois. Non, pensait-il, ce n’est pas à cinquante-cinq ans qu’on peut vouloir une jeune fille, mais quand on est sans yeux, on est aussi sans défense contre les mauvaises pensées, et mieux vaut traîner sur la grand-route par le vent et la pluie que de rester là comme un chien dans sa niche, à envier le bonheur des autres.
    Et il croyait détester Riquet.
    Auberi fut tout triste en apprenant que Riquet ne les suivrait pas, « mais après tout, pensait-il, s’il a la chance d’être aimé par une fille aussi belle et aussi bonne, comment partirait-il ? Il va sûrement l’épouser, personne ici ne sait qu’il est moine ».
    Riquet accompagna ses amis jusqu’à Castres, puis leur dit adieu. Auberi pleura, Riquet pleura aussi. Il voyait que le vieux lui en voulait, et avait des remords. Mais il ne voulait pas le montrer, et gardait son air buté et sûr de lui. Ce ne fut qu’en embrassant Auberi qu’il ne put retenir ses larmes. « Va, petit cochon d’Auvergnat, je t’aimais bien quand même, dit-il en s’efforçant de sourire, qui sait, on se reverra peut-être. »
LE CHAMP AUX CORBEAUX
    Les trois compagnons avançaient en silence sur la route à présent déserte. Il faisait encore beau, mais les soirées étaient fraîches, on ne pouvait plus dormir en plein champ. Auberi était tout mélancolique, c’était dur d’être seul à s’occuper de deux aveugles ; il était pourtant habitué à les servir, et du reste ils étaient déjà assez habiles à manier leurs bâtons et marchaient presque comme tout le monde. Mais c’était si triste d’être tout le temps avec des gens qui n’y voient rien. Il se sentait comme exclu de leur monde, si bien qu’il essayait parfois de fermer les yeux et de marcher à tâtons. Et il se demandait : « Comment se fait-il qu’ils vivent, et qu’ils pensent encore à quelque chose, et que celui-là veut retrouver son fils et l’autre aller à Jérusalem. À quoi cela leur sert-il ? Moi, je serais mort depuis longtemps, à leur place. Et puis, ils sont déjà si

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