4 000 ans de mystifications historiques
avait fait des révélations très importantes sur le programme de guerre bactériologique en cours dans son pays ; l’homme était un ingénieur chimiste expérimenté. Selon lui, le dictateur avait installé des laboratoires bactériologiques dans des camions, afin d’échapper à toute détection par satellite, avions espions ou agents de l’Unmovic. Les agents de la CIA accoururent pour interroger à leur tour ce réfugié dont le nom véritable ne fut alors pas divulgué, et qui fut désigné sous le nom de code de Curveball (terme de base-bail signifiant « balle à effet »). Il fournit des informations remarquablement détaillées sur les installations imaginaires irakiennes, dessinant les tuyaux qui reliaient les cuves de fermentation bactériennes, les centrifugeuses, les dispositifs de contrôle… Il raconta que douze chimistes qui travaillaient dans ces installations étaient morts à la suite d’une contamination accidentelle. Il dessina aussi le centre fixe de ces recherches, à Djerf el Nadaf.
Et, détail de poids, il apprit aux Américains que Saddam Hussein pouvait déclencher la guerre bactériologique dans un délai de quarante-cinq minutes. Ce devint un argument pour les Anglais.
La BND avait entre-temps permis à ce réfugié et à sa famille d’acquérir la nationalité allemande et lui offrit un appartement à Karlsruhe, l’usage d’une Mercedes-Benz et un salaire de 3 000 dollars par mois.
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Les Américains furent saisis. Ils ne tinrent pas compte des réserves des spécialistes, pour qui de telles installations, même si elles étaient plausibles, ne pouvaient être montées dans un garage ni embarquées sur des camions.
Pendant près de deux ans, les informations de Curveball furent tenues sous le coude mais, après le 11 septembre 2001, elles acquirent une importance cruciale. En 2002, le vice-président américain Cheney déclara publiquement que Saddam Hussein s’équipait pour une guerre bactériologique et qu’il menaçait les alliés de l’Amérique. Le chef de la CIA, George Tenet, acquiesça. Si les inspecteurs de l’Unmovic ne parvenaient pas à trouver les fameux laboratoires, c’était parce qu’ils étaient mobiles, pardi !
Les États-Unis vécurent alors dans la hantise d’attentats à l’anthrax, qui inspirèrent d’ailleurs d’autres mystifications. Et la Maison Blanche rejeta d’un revers de main le soupçon que Curveball pourrait être un bel et bon agent irakien chargé d’intoxiquer les Américains. George W. Bush avait ainsi vécu un moment d’horreur, pendant son voyage en Chine, quand son vice-président Dick Cheney lui avait téléphoné pour l’informer que tout le personnel de la Maison Blanche avait été contaminé par la toxine botulinique (l’alerte se révéla infondée). La psychose se mua en automystification. Pendant ce temps, en effet, une notabilité irakienne en exil, Ahmed Chalabi, persuadait les faucons du gouvernement Bush que la conquête de l’Irak serait une promenade de santé et que les Américains seraient accueillis en libérateurs. Sous son impulsion, l’urgence de la guerre devint irrésistible.
On devine la suite : en 2004, quand il fut démontré qu’il n’y avait ni armes biologiques ni délai de quarante-cinq minutes, George Tenet démissionna de la direction de la CIA, après avoir déclaré que Curveball était un « fabricateur ». Dans son livre de mémoires, A u cœur de la tempête , il déclara que l’affaire Curveball était « le plus illustre exemple de mauvaise information (104) ».
Il était impossible, en 2011, de retracer l’origine d’un mythe annexe des trois mystifications que voilà : celui de la capacité de l’Irak de mettre en œuvre ses armes bactériologiques dans un délai de quarante-cinq minutes après la déclaration de guerre. Toujours fut-il qu’il prit force d’un article de foi et que le gouvernement de Tony Blair y adhéra pleinement, sur la foi des services de renseignements britanniques ; le Premier ministre assura à des députés que ces services lui avaient fourni des informations « étendues, détaillées et certaines » (« extensive, detailed and authoritative »). Il s’avançait par trop : les services secrets avaient négligé de vérifier les allégations de Curveball selon lesquelles le fils de son ancien directeur à Bagdad, le Dr Bassil Latif, achetait à Londres des armes pour l’Irak, ce qui se révéla faux.
Quand vint
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