4 000 ans de mystifications historiques
royaume d’Austrasie depuis 680. L’Austrasie, pour mémoire, est ce royaume qui occupa le nord-est de la France de 561 à 751, dont le roi le plus célèbre fut le bon Dagobert (Clotaire II et Sigisbert III ont été éclipsés par sa culotte), et qui était rival de la Neustrie, située au nord-ouest. La capitale en était Metz. Un enfant naturel, c’était à l’époque banal, mais il se trouvait que le père était donc maire du palais, personnage formidable presque aussi puissant que son souverain ; de surcroît, et c’est bien moins courant, Pépin était le petit-fils légitime de deux saints ! Du côté paternel, figure saint Pépin de Landen, maire du palais lui aussi, et du côté maternel, saint Arnoul, évêque de Metz. Ce dernier, curieux gaillard (bien que laïc et père de famille, il avait été nommé évêque, puis s’était lassé de sa charge), est resté au calendrier, mais saint Pépin de Landen en a disparu.
Avec un aussi brillant lignage, comment serait-on dénué d’ambition ?
Charles en brûlait : il voulait être, lui aussi, maire du palais. Quand il le devint, l’Austrasie avait avalé la Neustrie et le père céda sa place à ce fils tout en conservant le pouvoir véritable. À quarante-quatre ans, Charles, maire de deux palais, à Metz et Rouen, était un guerrier à la réputation bien établie. Il était surtout « plus-que-roi » : un maire du palais était en ce temps le potentat suprême, et les rois mérovingiens, qu’on qualifia d’ailleurs de fainéants, étaient des gamins qui montaient sur le trône à l’âge tendre et n’y restaient pas longtemps. Clovis IV fut roi à neuf ans et mourut à treize, Dagobert III fut roi à douze ans et mourut à seize, Clotaire IV ne régna qu’un an, etc.
Le véritable roi des Francs était Charles Martel.
*
À l’époque, les Sarrasins, maîtres de l’Espagne, s’étaient installés dans des territoires au-delà des Pyrénées, le Béarn, le Comminges, les Corbières et le Languedoc et, pillards comme tout le monde, ils faisaient des razzias vers le nord, le long du Rhône et sur la côte atlantique jusqu’en Gascogne. Eudes, le duc d’Aquitaine, en était évidemment contrarié. En 721, à Toulouse, il avait déjà infligé une raclée à une expédition de Sarrasins, mais ils ne semblaient pas se l’être tenu pour dit ; ils recommençaient.
Curieusement, aucun manuel ne mentionna jamais la victoire sur les Arabes d’Eudes d’Aquitaine, à Toulouse ; ceux-ci y avaient pourtant laissé un souvenir culturel durable : une version du couscous, connue sous le nom de cassoulet et incorporant, après leur départ, des saucisses.
Eudes, las de guerroyer contre les Sarrasins, appela à son secours Charles Martel. Et celui-ci accourut. Il n’avait tant cure des Sarrasins que de s’emparer de l’Aquitaine. Le 25 octobre 732, entre Tours et Poitiers, l’émir Abd el-Rahman fonce à la tête de sa cavalerie vers de nouveaux pillages. Il tombe sur un mur de fantassins francs qui lui infligent une défaite cuisante. Abd el-Rahman ne demande pas son reste et détale vers le Languedoc.
*
La victoire de Charles Martel lui permet de se poser en sauveur de l’Aquitaine, qui passe bientôt sous la coupe des royaumes francs, Austrasie, Neustrie et Bourgogne, c’est-à-dire sous sa propre coupe. Il ne la laissera pas oublier : son frère Childebrand la célébrera dans sa Chronique . Et l’escarmouche est immortalisée, magnifiée, exaltée, par la chevalerie, les chroniqueurs et les troubadours, tous toujours en quête d’héroïsme. Lettrés et copistes, qui appartiennent dans leur majorité à des ordres religieux, prennent leur relais. En 750, un chrétien d’Espagne, qu’on désigne comme l’Anonyme de Cordoue, évoque un déferlement d’« Européens », rien de moins, comme si les croisades avaient commencé au VIII e siècle. Sans doute faut-il attribuer son exagération à la frustration d’un chrétien contre une religion à laquelle il ne comprend rien et qu’il déteste évidemment, car l’Espagne a été christianisée depuis le début du IV e siècle. Point paradoxal : la christianisation s’est opérée à partir de l’Afrique du Nord et, justement, le premier centre de forte évangélisation a été Cordoue, la ville que l’émirat musulman a choisie comme capitale.
Mais aussi, les descendants de Charles Martel s’enorgueillissent de l’exploit de leur ancêtre. L’un d’eux
Weitere Kostenlose Bücher