4 000 ans de mystifications historiques
1796. Peut-être étaient-elles dues à l’effort physique et intellectuel intense auquel Napoléon s’astreignit si fréquemment au cours de sa vie, et qui aurait causé de l’hypertension. Mais ce sont des conséquences et non des causes du déséquilibre.
Cependant, il semble difficile de séparer ces deux troubles de l’altération visible du caractère, qui alla s’accusant jusqu’à la fin de sa vie. Ses accès de colère, souvent irrationnelle et frisant la psychose, comme dans l’épisode de la modiste qu’il trouva dans l’antichambre de Joséphine, prit brusquement en aversion, fit arrêter et jeter en prison, allèrent se multipliant et son langage devint de plus grossier. Et là, on ne peut plus exclure que son état de santé ait modifié son comportement politique autant que son comportement affectif et intime. Le ministre de la Marine, Denis Decrès, l’avait déjà clamé : « L’Empereur est fou, il nous perdra tous ! »
*
La déduction en est consternante : Napoléon a souffert dans les dernières années de son règne d’accès psychotiques, dont il est impossible d’évaluer aujourd’hui la fréquence, la gravité et les conséquences. La France a été gouvernée pendant dix-huit années par un génie militaire cliniquement dément par intermittence. L’Europe en a subi les conséquences. La France y a perdu plus d’un million d’hommes et le rang de la nation la plus peuplée d’Europe, avec les conséquences démographiques qu’on sait.
Mais on peinerait à trouver, sauf dans quelques ouvrages spécialisés, une mention de la formidable hypothèque que l’état mental et physique de Napoléon a fait peser sur l’Occident : s’y risquer frise le crime de lèse-majesté.
S’en abstenir est pourtant commettre la faute grave de la mystification collective.
« C’est du passé, plaideront certains. À quoi bon y revenir ? À quoi bon abattre les idoles et tout démonter ? » À éviter la répétition des erreurs du passé. En effet, le consensus dominant aux XX e et XXI e siècles est que l’ouverture des démocraties modernes à l’information libre et la surveillance de plus en plus aiguë des médias rendraient impossible une longue dissimulation de la maladie d’un chef d’État. À preuve, l’émotion qui s’est emparée du public en 2008, lors du bref malaise que subit le président Nicolas Sarkozy, pendant un jogging matinal. Il ne demeure plus que quelques dictatures isolées où un tyran peut encore masquer son délabrement physique et mental. Voire.
Par l’effet d’une comédie publique rendue possible par l’ignorance de la nation et les mensonges de ses alliés, un grand malade physique et un infirme mental commanda le destin d’une grande puissance du début du XX e siècle, les États-Unis d’Amérique : c’était Thomas Woodrow Wilson. Et ce fut encore lui qui représenta son pays au désastreux traité de Versailles, après la Grande Guerre.
Physiquement, il souffrait depuis 1896, à l’âge de quarante ans, d’altérations cérébrales se manifestant par une faiblesse musculaire du côté droit, avec insensibilité des doigts et difficulté à écrire. Il apprit donc à écrire de la main gauche. Cette condition est évolutive : en 1906, un caillot sanguin, soit dans l’artère cérébrale de l’œil, soit dans la carotide, lui fit perdre l’œil droit. Le médecin appelé en consultation diagnostiqua une artériosclérose généralisée.
« Les observations cliniques de plusieurs de ses médecins ont été volontairement détruites », relèvent Pierre Accoce et le Dr Pierre Rentchnick (37) , mais celles du Dr Edward S. Gifford Jr, de Philadelphie, datant de 1908, ont échappé à cette censure : spasmes artériels et hémorragies rétiniennes, ce qui indique une très forte hypertension artérielle avec risque d’hémorragie cérébrale.
Ce borgne artérioscléreux se lance pourtant à la conquête du pouvoir suprême et, ô miracle, l’obtient : il devient président des États-Unis en 1912. Il porte en permanence une sonde gastrique pour remédier à ses acidités et il est sujet à des crises dépressives.
Le comportement est encore plus alarmant : il sanglote souvent sans raison, interrompt ses discours à cause de pertes de mémoire, souffre de confusion mentale et d’accès d’irritabilité. Il cache un revolver dans le tiroir de son bureau… Son comportement est si bizarre que Sigmund Freud lui
Weitere Kostenlose Bücher