À La Grâce De Marseille
des accusés et regarda Charging Elk. Elle constata qu’il paraissait l’examiner avec un curieux détachement et une espèce de tendre complicité totalement déplacée en ce lieu. Elle ne lui avait vu cette expression que dans sa chambre, quand elle caressait encore le vain espoir d’échapper à sa triste condition.
« Le témoin peut-il répondre à la question de la défense ? demanda une voix au-dessus d’elle.
— Oui, je l’avais rencontré, avoua alors Marie.
— Et quand cette rencontre s’est-elle produite ?
— Trois ou quatre jours avant…
— Et quel était l’objet de cette rencontre ?
— Pardon ?
— De quoi le défunt et vous avez-vous parlé ? »
La jeune fille se mit à trembler. Elle n’aurait pas dû le regarder. Les choses n’en étaient rendues que plus difficiles. « Je vous en supplie, monsieur, murmura-t-elle. Ayez pitié.
— Je vous ai posé une question simple.
— Mais je ne peux pas…» Elle enfouit son visage dans ses mains et éclata en sanglots.
La salle réagit. Le président du tribunal réclama le silence, puis ajouta : « Peut-être mademoiselle désirerait-elle s’asseoir un instant ? »
Marie, se tamponnant les yeux de son mouchoir, considéra une seconde les magistrats. Elle leur était reconnaissante de cette petite attention, mais elle savait qu’ils ne la tiendraient pas quitte et qu’elle devrait boire la coupe jusqu’à la lie. Elle se tourna vers l’avocat qui, appuyé à sa table, essuyait ses lunettes dans un coin de sa robe. Il attendait sa réponse.
« Il voulait que…
— Breteuil ?
— Oui, il voulait que je lui organise un rendez-vous avec François.
— François ?
— Charging Elk. » Marie eut du mal à prononcer le nom. Elle ne l’avait appris que cinq semaines plus tôt, quand le journaliste était venu la voir à la préfecture. Elle en avait voulu à l’homme au teint cuivré de sa petite tromperie, mais à présent, elle ne pensait plus qu’à en finir au plus vite pour échapper aux regards inquisiteurs du public.
« Un rendez-vous ! Dans quel but ?
— Il désirait avoir des relations sexuelles avec… avec Charging Elk. » Curieux comme ce nom semblait rendre leurs rapports lointains et impersonnels. En un sens, elle se sentait soulagée que François ait disparu de la scène.
« Je vois. Et le prévenu… (L’avocat désigna le banc des accusés)… désirait-il également avoir des rapports sexuels avec le défunt ?
— Il… non, il ne savait pas.
— Alors comment diable monsieur Breteuil comptait-il s’y prendre pour avoir des rapports sexuels avec quelqu’un qui ne le désirait pas et qui ne le connaissait même pas ? »
Marie contempla ses mains gantées. Elle se rappelait combien elle s’était trouvée lourde et gauche en compagnie du bel étranger. Et même là, devant cette auguste assemblée de magistrats et autres personnages importants en robes rouges et noires, elle se sentait davantage dans la peau d’une fille de ferme du Vaucluse que dans celle d’une putain d’une grande cité portuaire. D’un autre côté, vidée de ses émotions, elle commençait à ressentir une sorte de sérénité.
« Il m’a donné une poudre destinée à endormir François… Charging Elk, je veux dire. Je devais la verser dans le vin…»
Un murmure s’éleva de nouveau du balcon, accompagné cette fois de quelques sifflets. Gardant les yeux baissés, elle les ignora.
L’avocat, tourné vers les jurés, déclara alors : « En résumé, vous avez drogué le prévenu afin que Breteuil puisse pratiquer sur lui des actes contre nature, c’est bien cela ?
— Oui.
— Et vous avez été payée en échange de ce… de ce service ?
— Oui.
— Combien ?
— Vingt francs. » Pour la première fois, Marie regarda le jury et s’écria : « Mais je ne voulais pas ! je ne voulais pas ! Dieu m’en est témoin. Mais il m’a menacée…
— Nous vous remercions, mademoiselle. » La voix coupante du président du tribunal fit sursauter la jeune fille. « Nous ne tolérons pas d’éclats dans ce prétoire. Pour ce qui est de Dieu, vous ferez bien de solliciter son pardon chaque fois que vous repenserez au rôle que vous avez joué dans cette affaire.
— S’il plaît à la cour, je souhaiterais poser encore deux questions au témoin. » L’avocat jeta un coup d’œil sur un papier que venait de lui passer un de ses assistants. « Ainsi, le
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