A l'écoute du temps

grand six et demi, précisa Rosaire. Il est chauffé avec des
calorifères à l'eau chaude, comme ici.
     
    — Combien tu
demandes de loyer? fit Gérard.
     
    — Cinquante
piastres par mois.
     
    — Ayoye! fît
Laurette, estomaquée. C'est cher en pas pour rire.
     
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    — C'est sûr que
c'est pas donné, lui expliqua son beau-frère, mais oublie pas que c'est une
maison neuve, que c'est chauffé et que l'eau chaude est fournie. En plus...
     
    Laurette ne se
préoccupa plus d'écouter les autres explications de Rosaire. Cinquante piastres
par mois! est-ce que c'était possible que du monde ordinaire aie autant
d'argent à dépenser pour un loyer? C'était plus que deux fois ce qu'elle payait
chaque mois pour leur appartement de la rue Emmett. Elle jeta un coup d'oeil à
son mari qui semblait boire chaque parole de son beau-frère et elle éprouva
soudain une vague rancoeur à son égard. S'il ne s'était pas toujours contenté
de son petit emploi mal payé de magasinier à la Dominion Rubber, peut-être
serait-elle aujourd'hui la maîtresse d'une maison aussi luxueuse. S'il avait
occupé ses loisirs à faire autre chose qu'à lire ses maudits journaux, ils
auraient aujourd'hui un peu d'argent de côté et n'auraient pas l'air d'être les
quêteux de la famille Morin.
     
    — Non. On veut
pas d'une famille nombreuse qui va nous courir sur la tête du matin au soir,
entendit-elle préciser sa belle-soeur.
     
    — Qu'est-ce que
vous avez contre les grosses familles? demanda Laurette avec une agressivité
évidente.
     
    — On n'a rien
contre, lui expliqua Colombe, mais on pense qu'elles sont mieux au premier
étage d'une maison.
     
    Qu'on le veuille
ou pas, elles font pas mal plus de bruit qu'un couple seul. En tout cas, moi,
je suis pas prête à en endurer une au-dessus de ma tête.
     
    — Sans parler
qu'on n'est jamais sûr d'être payé au début du mois, ajouta Rosaire.
     
    En entendant ces
mots, Laurette se sentit directement visée et elle monta sur ses grands
chevaux.
     
    — Rosaire Nadeau!
s'exclama-t-elle comme si le vendeur de voitures l'avait insultée. Tu sauras
que c'est 416 ENTRE LA HONTE ET L'ENVIE pas parce que du monde a une grosse
famille qu'ils sont malhonnêtes.
     
    — Fâche-toi pas,
Laurette, temporisa son beau-frère, mal à l'aise. C'est pas ce que j'ai voulu
dire. Je veux dire qu'une grosse famille coûte cher à élever et à nourrir et
que c'est plus difficile de payer un gros loyer chaque mois.
     
    Lucille Morin,
qui n'avait pratiquement pas parlé depuis l'arrivée des invités, se chargea de
dissiper le léger malaise suscité par les paroles de Laurette.
     
    — Vous devinerez
jamais qui Rosaire nous a amené comme visite hier soir? demanda-t-elle.
     
    — Qui, m'man?
demanda Gérard, heureux de la diversion.
     
    — Ton oncle Paul.
     
    — Mon oncle Paul!
Ça fait ben cinq ans qu'on l'a pas vu. D'où est-ce qu'il sortait? Je le pensais
mort.
     
    — Pantoute,
répondit Rosaire en retrouvant sa bonne humeur. Il m'est arrivé au garage au
moment où je fermais, hier soir.
     
    — Est-ce que ça
faisait longtemps que vous l'aviez vu? demanda Gérard.
     
    — À peu près cinq
ans, comme vous autres.
     
    — Est-ce qu'il
était tout seul? fit Laurette.
     
    — Oui, répondit
Colombe. Ma tante Françoise était restée à la maison, à Joliette. Pour ça, il a
pas changé, il aime ça voyager tout seul. Pauvre ma tante! Avec un numéro
pareil, je pense qu'elle est mieux de pas le suivre.
     
    — Naturellement,
je l'ai ramené à la maison pour souper, reprit Rosaire.
     
    — S'il a pas
changé, fît remarquer Laurette, avec un sourire en coin, il a pas dû refuser.
     
    — Pour ça, j'ai
pas eu à lui tordre un bras.
     
    — En tout cas,
t'as pris là toute une chance, lui fit remarquer son beau-frère en riant. Tu
risques de le 417 retrouver pas mal souvent dans ton salon à cette heure qu'il
sait où vous restez, Paul Morin, l'unique oncle de Gérard, était reconnu dans
la famille autant pour son sens un peu trop poussé de l'économie que pour sa
manie d'adopter une maison et de s'y incruster.
     
    — Je le sais pas
trop, dit Rosaire. Si j'ai ben compris, il est devenu témoin de Jéhovah et il a
pas arrêté de nous parler de la Bible.
     
    — J'ai même été
obligée de lui dire d'arrêter de nous ennuyer avec ça, intervint Lucille Morin
en se gourmant.
     
    — Mon oncle est
pas mal plus brave que je pensais, fit remarquer Gérard. Duplessis est