A l'écoute du temps

pas
tendre avec les témoins de Jéhovah. S'il se fait prendre à faire du porte à
porte, il va y goûter.
     
    — Ça a pas l'air
de le déranger ben gros, reprit Rosaire.
     
    Même s'il est
rendu à soixante...
     
    — Soixante-huit
ans, précisa sa belle-mère.
     
    — Soixante-huit
ans, poursuivit l'hôte. Il paraît que le frère de ta mère est tellement occupé
qu'il a presque plus le temps de visiter la famille.
     
    — C'est notre
chance, conclut Laurette sans se préoccuper de savoir si cette remarque allait
peiner sa belle-mère.
     
    — Oui, cry de
cryl se moqua Gérard en imitant son oncle dont c'était le juron préféré.
     
    Colombe servit un
véritable festin à ses hôtes. Ils eurent droit à un rôti de boeuf et à des
pommes de terre en robe des champs. Pour dessert, elle leur servit de la tarte
au sucre et de la crème glacée en précisant que la tarte avait été
confectionnée par sa mère.
     
    A la fin du
repas, les hommes se retirèrent dans le salon pendant que les femmes lavaient
la vaisselle et rangeaient la cuisine et la salle à manger.
     
    418 ENTRE LA
HONTE ET L'ENVIE Étonnamment, Richard semblait être le membre de la famille
Morin le plus touché par le luxe de la maison des Nadeau. Il n'en revenait pas
qu'on puisse avoir la chance de vivre dans un cadre pareil. Dans une telle
maison, il n'y avait pas de rats et on n'avait pas à se soucier du chauffage.
     
    Il faisait clair
dans toutes les pièces. Les meubles étaient tellement beaux qu'on avait peine à
croire qu'on pouvait s'en servir. Avant la fin de la visite chez son oncle, il
avait décidé que c'était dans une maison semblable qu'il voulait vivre et qu'il
prendrait tous les moyens nécessaires pour y parvenir.
     
    Quand il entendit
son oncle se plaindre de ce que ses voitures usagées stationnées à l'extérieur
n'attiraient pas beaucoup d'achalandage parce qu'il aurait fallu les déneiger
après chaque chute de neige et dégager un chemin entre chacune, l'adolescent
vit là une brèche dans laquelle il se jeta tête baissée.
     
    — Vous avez pas
un employé qui fait ça, mon oncle? demanda-t-il.
     
    — Non, j'ai juste
un vendeur et, tu peux me croire, pelleter, c'est pas son fort.
     
    — Ça vous
tenterait pas de m'engager au moins les fins de semaine? demanda Richard. Moi,
je suis capable de pelleter. Puis, quand il va faire beau, je serais capable de
laver tous vos chars.
     
    — Ben là, je sais
pas trop, fit son oncle d'une voix hésitante.
     
    — Je suis sûr,
mon oncle, qu'un char ben propre est plus facile à vendre qu'un char sale, dit
Richard avec assurance.
     
    — Qu'est-ce que
t'en dis, toi, Gérard? demanda Rosaire en se tournant vers son beau-frère.
     
    — Tu fais ce que
tu veux. Si t'as besoin d'un gars pour faire ça, Richard est celui qu'il te
faut. Il a du coeur au ventre. Tu peux te fier à lui.
     

419
     
    — C'est correct,
je t'engage pour la journée de samedi, décida l'oncle après une brève
hésitation. Combien tu vas me demander?
     
    — Qu'est-ce que
vous diriez de deux piastres et de deux billets de petits chars?
     
    — Ah, cré maudit!
Tu charges cher! s'exclama Rosaire Nadeau en retirant de sa bouche le cigare
qu'il venait d'allumer.
     
    — Oui, mais je
travaille ben, mon oncle.
     
    — Peut-être, mais
je te garantis que tu vas les gagner, tes deux piastres, l'avertit son oncle,
mi-sérieux.
     
    — Et vous me
payez aussi les p'tits chars, précisa son neveu avec aplomb.
     
    Satisfait de
s'être trouvé un emploi, l'adolescent fit un clin d'oeil à son frère Gilles et
demeura dans le salon à écouter son oncle parler de ce qu'il appelait sa
business avec un air important.
     
    — Tu sais, mon
Gérard, il est pas nécessaire pantoute d'avoir des diplômes longs comme le bras
pour réussir en affaires. Il faut foncer et pas avoir peur de prendre des
risques. Regarde-moi. J'ai juste une cinquième année et ça m'a pas empêché de
faire mon trou. Et je peux te garantir que c'est pas fini.
     
    Pour Richard, il
était bien évident que l'oncle Rosaire avait raison. Il était le modèle à
suivre. Il n'y avait qu'à regarder ce qu'il possédait pour voir à quel point il
avait bien réussi. Il se promit de l'imiter. Il ne voyait pas pourquoi il ne
serait pas capable d'en faire autant. Lui non plus, il ne traînerait pas sur
les bancs d'école. Après sa septième année, il allait se lancer en affaires. Il
ne passerait pas sa vie dans un trou comme