A l'écoute du temps
tremblant. D'un geste impatient, elle actionna la molette de
son briquet et présenta la flamme à sa cigarette. Fermant à demi les yeux, elle
inhala alors la fumée avec une rare délectation.
468 DES
SACRIFICES
— Maudit que ça
fait du bien, murmura-t-elle avant d'inhaler une seconde bouffée tout en
s'assoyant sur le siège des toilettes.
Quand elle eut
fumé sa cigarette, elle n'éprouva pas le moindre remords. Mieux, elle sortit
immédiatement une seconde cigarette qu'elle alluma.
— J'ai dit deux
ou trois par jour. Avec celle-là, ça en fait juste deux, précisa-t-elle pour se
donner bonne conscience.
Après avoir fumé,
elle évacua la cendre et les mégots dans le bol des toilettes et retourna se
coucher, satisfaite et enfin sereine. Elle dormit si bien cette nuit-là que la
toux persistante de Gérard ne parvint pas à la réveiller.
Les jours
suivants, son mari et ses enfants se rendirent rapidement compte qu'elle avait
retrouvé son caractère habituel. Si certains d'entre eux eurent la naïveté de
croire que son organisme s'habituait peu à peu à la privation de nicotine,
Richard n'était pas de ceux-là. Il avait remarqué la disparition intermittente
de l'étui de cigarettes de sa mère sur la dernière tablette de l'armoire et
cela l'intriguait.
Une semaine plus
tard, il eut l'occasion de voler une cigarette dans cet étui qui n'en contenait
que sept ou huit pendant que sa mère faisait la sieste. Deux jours plus tard,
profitant d'une courte visite de sa mère chez une voisine, il découvrit avec
étonnement un étui à cigarettes plein. Il en compta vingt. Donc, il était
impossible d'en prendre une sans qu'elle s'en rende compte. Il reposa l'étui à
sa place, mais ce mystère l'intrigua passablement. Comment expliquer que
quelqu'un qui ne fumait pas ait rempli son étui? La lumière se fît jour
brusquement dans son esprit.
Sa mère fumait
hors de la présence des siens.
Il attendit le
lendemain après-midi pour s'assurer de ne pas s'être trompé. Quand sa mère
quitta la cuisine pour 469 aller chercher un objet dans sa chambre, il se
précipita dans l'armoire et ouvrit l'étui. Il ne contenait plus que dix
cigarettes. Il en prit une et s'empressa de remettre l'étui en place au moment
où sa mère revenait.
Évidemment,
Laurette n'avait pas tenu parole de se satisfaire de deux ou trois cigarettes
quotidiennes. Dès le lendemain, elle passa à quatre, puis à cinq, trouvant
toujours une bonne raison pour en griller une de plus.
Finalement, au
bout d'une semaine, elle ne se préoccupa plus de les compter et devait faire un
effort pour se rappeler de ne pas fumer quand ses enfants ou son mari étaient
dans la maison.
— J'ai besoin de
fumer, se répétait-elle parfois pour se donner bonne conscience. Pas fumer me
rend malade.
De temps à autre,
Richard prenait un air dégoûté en sortant des toilettes.
— Je sais pas ce
qu'il y a dans les toilettes depuis un bout de temps, mais ça sent pas mal
drôle, disait-il en surveillant du coin de l'oeil la réaction de sa mère.
—- Ça sent quoi?
demandait cette dernière en adoptant un ton neutre.
— Ça sent comme
de la fumée. C'est comme s'il y avait quelque chose qui avait brûlé là.
— Arrête donc de
dire des niaiseries, le rabrouait sa mère en lui jetant un regard mauvais. Il y
a rien qui brûle là-dedans.
Deux jours plus
tard, Gilles rentra à la maison avec un sac d'école étrangement gonflé et se
précipita dans sa chambre dès qu'il eut franchi la porte de l'appartement.
Richard était
déjà dans la pièce en train de chercher quelque chose dans l'un des tiroirs de
la commode qu'il partageait avec son frère aîné.
470 DES
SACRIFICES
— Qu'est-ce que
tu cherches? lui demanda Gilles en laissant tomber son sac sur leur lit.
— Une plume.
Celle que j'ai est épointée. Je peux pas faire mon devoir avec. Je suis sûr
d'en avoir une autre.
Même si les
plumes que l'on insérait dans un porte- plume ne valaient qu'un cent, il
fallait aller les acheter sur la rue Sainte-Catherine et l'adolescent n'avait
aucune envie de s'imposer le trajet encore une fois dans la journée.
— J'espère que
c'est pas toi qui me l'as volée, reprit Richard sur un ton accusateur.
— Es-tu malade,
toi? J'en ai trois dans mon coffre à crayons.
— Ça tombe ben en
maudit, lui dit son frère, content de sa ruse. Comme ça,
Weitere Kostenlose Bücher