A l'écoute du temps
tremper le bout des
doigts avant de se signer.
— Tu sais ben que
j'haïs ça rien voir de la messe, répliqua sa mère sur le même ton en imitant le
geste de sa fille.
— Est-ce qu'on
est obligés d'aller s'asseoir avec vous autres? demanda Gilles.
— Envoyez!
Avancez, se contenta de répondre Laurette en leur indiquant la large allée qui
s'ouvrait devant eux.
On se fait
regarder.
94 UN DIMANCHE
COMME LES AUTRES Toute la famille s'avança. La mère de famille s'arrêta
finalement près du cinquième banc, à l'avant de l'église, et fit signe à ses
filles de passer devant elle. Chacune fit une génuflexion avant de se glisser
sur le banc. Laurette s'installa au centre et ses garçons prirent place à sa
gauche.
Comme les autres
fidèles, tous s'agenouillèrent un instant avant de s'asseoir en attendant le
début de la messe. Peu à peu, les bancs voisins se remplissaient de
paroissiens.
Laurette venait à
peine de s'asseoir quand le curé Perreault apparut dans le choeur, vêtu de sa
soutane noire et d'un simple surplis. Le grand et imposant quinquagénaire
n'avait pas encore revêtu ses habits sacerdotaux. Il adressa un sourire un peu
contraint à l'un de ses marguilliers installé sur le premier banc avec sa
famille, puis son mince sourire s'effaça brusquement et les traits de son
visage se durcirent en reconnaissant Laurette Morin, assise quelques bancs
derrière. Le prêtre s'empara du missel oublié sur la sainte table et se retira
dans la sacristie afin de se préparer pour la célébration de la messe.
Le changement
d'expression du pasteur de la paroisse n'avait pas plus échappé à Laurette qu'à
Denise. Cette dernière se pencha vers sa mère pour lui murmurer:
— Avez-vous
remarqué l'air bête de monsieur le curé, m'man, quand il nous a regardés?
— Tu te fais des
idées, répondit Laurette, agacée que sa fille se soit aperçue du changement
d'expression du prêtre en l'apercevant.
En fait, elle
connaissait parfaitement la raison de l'hostilité mal déguisée du curé de la
paroisse à son endroit. Elle trouvait son origine dans la visite qu'elle avait
effectuée le printemps précédent au presbytère alors qu'elle était venue se
procurer un certificat de naissance dont Jean-Louis avait besoin.
95 Le curé
Perreault était un prêtre hautain et intransigeant qui dirigeait avec une
poigne solide les destinées de sa paroisse depuis près de dix ans. Les abbés
Laverdière et Dufour, ses deux vicaires, avaient vite appris à craindre ses
sautes d'humeur. Avec lui, pas de compromis possible avec la morale et le
respect des consignes. Ce grand ecclésiastique au ventre avantageux et à la
voix puissante savait intimider son monde. Fils unique d'une famille aisée
d'Outremont, il était convaincu depuis longtemps que l'archevêché gaspillait
ses dons exceptionnels d'organisateur et d'administrateur en le maintenant à la
tête de cette paroisse défavorisée. Il attendait un poste à la hauteur de ses
compétences avec une impatience mal déguisée.
Un mardi
après-midi du mois d'avril, Laurette Morin, vêtue de son manteau de lainage
noir, était venue sonner à la porte du presbytère. La servante l'avait
introduite dans l'un des cubicules utilisés comme bureaux. Un moment plus tard,
elle avait vu Damien Perreault entrer dans la pièce et s'asseoir derrière le
bureau, sans se donner la peine de faire preuve de la moindre amabilité.
— Qu'est-ce que
je peux faire pour vous? lui avait-il demandé sans préambule.
— Je voudrais
avoir le certificat de naissance de mon garçon Jean-Louis Morin, monsieur le
curé, avait répondu une Laurette un peu froissée d'être reçue aussi froidement.
— Il est né en
quelle année, votre garçon? avait questionné le prêtre en se levant, déjà prêt
à aller chercher l'un des registres noirs qu'elle apercevait dans le
coffre-fort dont la porte était ouverte derrière le prêtre.
— Le 15 juin
1934, monsieur le curé.
Le curé Perreault
était allé chercher le bon registre dans la voûte, l'avait déposé sur le bureau
et l'avait ouvert à la bonne page avant de s'asseoir. Il s'était mis ensuite 96
UN DIMANCHE COMME LES AUTRES à remplir un formulaire qu'il avait finalement
signé et estampillé avec le sceau de la paroisse.
— C'est cinquante
cents, avait-il annoncé en pliant le formulaire et en le glissant dans une
enveloppe blanche.
Laurette
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