A l'écoute du temps

NOUVELLE
     
    — En plein ça,
répondit Rosaire en éteignant son cigare dans le cendrier posé au centre de la
table. J'avais acheté là un grand terrain, il y a deux ans. Je l'ai eu pour une
bouchée de pain. Cette année, je l'ai fait diviser en trois lots. J'en ai vendu
deux et avec cet argent-là, j'ai décidé de me faire bâtir une maison. Ce sera
pas le grand luxe. La façade est en belle pierre et elle a deux étages. Je vais
louer le haut et en bas, ça va être assez grand pour ta mère et nous autres.
     
    — Et si un jour
vous avez des enfants? demanda Laurette, perfide.
     
    — Il y aura en
masse de la place pour eux autres aussi, répondit son beau-frère.
     
    — Je sais pas si
j'aimerais ça aller rester dans ce coin-là, ajouta Laurette. Je trouve que
c'est pas mal loin de tous les magasins.
     
    — Pas tant que
ça, intervint Colombe, qui avait senti la critique. L'autobus passe à la porte
et c'est un coin de maisons neuves et il y a pas de senteurs d'usine autour.
     
    Sa réplique fit
mouche parce que le visage de Laurette s'assombrit.
     
    — Le problème est
pas là, reprit Rosaire en jetant un regard d'avertissement à sa femme.
     
    — Ah! Il y a un
problème, dit sa belle-soeur. Je me disais aussi...
     
     
     
    — C'est pas la
fin du monde, mais c'est pas mal embêtant, se crut obligé de préciser Rosaire.
J'ai oublié de dire que mon entrepreneur devait commencer la construction au
mois de septembre, mais il a eu toutes sortes de troubles avec ses ouvriers.
Finalement, il a pu faire couler le solage seulement dans la dernière semaine
d'octobre.
     
    — Ça veut dire
que ça fait déjà presque un mois et demi qu'il travaille dessus, lui fît
remarquer un Gérard attentif. Il doit achever, non? 225
     
    — Pantoute. Tu te
rappelles comment il a mouillé à la fin d'octobre et au commencement de
novembre? Toute cette pluie-là l'a retardé sans bon sens. Il avait promis de
finir la job pour le 15 janvier. Il m'a téléphoné la semaine passée pour me
dire qu'il pourrait pas me la livrer avant le 30.
     
    — Bah! Pour
quinze jours de plus, il y a pas de quoi en faire une maladie, dit son
beau-frère pour l'apaiser.
     
    — Calvaire! C'est
là qu'on a un maudit problème sur les bras, jura le vendeur d'automobiles.
     
    — Rosaire, surveille
tes paroles! intervint Colombe, fâchée de le voir se laisser aller à jurer.
     
    — Comment ça?
demanda Laurette, soudain très attentive.
     
    — J'ai résilié
mon bail pour le 15 janvier, moi! Mon propriétaire a déjà loué notre
appartement à un jeune couple. On peut pas rester là. Il faut qu'on parte pour
le 15.
     
    — Vous avez juste
à entrer dans votre nouvelle maison, même si elle est pas encore finie, lui
suggéra Laurette.
     
    — L'entrepreneur
veut absolument pas nous avoir dans ses jambes. En plus, c'est pas possible, le
système de chauffage sera pas encore installé. Tu devrais voir ça, il y a
encore rien de fait en dedans. Tout est encore sur les colombages.
     
    — On vous
offrirait ben de venir rester ici en attendant, mais comme vous le voyez...,
dit Gérard en faisant un geste de la main.
     
    Le regard furieux
de sa femme l'empêcha de continuer.
     
    — Mais non, fit
Colombe en arborant un sourire contraint. On voit bien que vous manquez déjà de
place pour vous autres. T'es bien fin de nous l'offrir, Gérard, mais on a déjà
réglé ce problème-là. Nos amis Laçasse 226.UNE MAUVAISE NOUVELLE nous ont
proposé de venir rester chez eux le temps que notre maison soit habitable. Ils
restent dans un grand appartement sur le boulevard Saint-Joseph et ils ont pas
d'enfant. Ils disent que nous avoir chez eux pendant quinze jours les dérangera
pas.
     
    — Comme ça, c'est
parfait, fît Laurette, soulagée de ne pas être sollicitée.
     
    — Malheureusement
non, reprit sa belle-soeur en tournant la tête vers elle. Il reste ma mère.
     
    — Qu'est-ce
qu'elle a, ta mère?
     
    — Les Laçasse
n'ont pas de place pour elle.
     
    — Ce sont des
étrangers, poursuivit son mari. On peut tout de même pas les forcer à prendre
la belle-mère aussi, tu comprends? Cette pauvre vieille va être dans la rue le
15 janvier et on sait pas quoi faire avec elle.
     
    — Ça fait qu'on
s'est dit, Rosaire et moi, reprit Colombe en se gourmant, que maman pourrait
peut-être enfin compter un peu sur son seul garçon pour la recevoir pendant les
deux dernières semaines de janvier.
     
    Laurette se