A l'ombre de ma vie
policiers sont complices des gangs pour les trafics
de drogue ou les enlèvements. On n’a même pas été surpris d’entendre raconter
qu’ils pouvaient eux-mêmes enlever des gens pour faire marcher leur cabinet.
C’est là que Sébastien a pris peur. Margolis en riait, lui, sans qu’on sache si
c’était à cause de l’énormité de la fable ou parce qu’il avait le sentiment
d’être intouchable. Un tas de gens patibulaires tournaient autour de lui et
cela lui donnait un air de puissance qu’il entretenait en se vantant, à
l’occasion, d’avoir ses entrées et les faveurs des hommes du pouvoir.
Quand Sébastien a voulu se retirer de la société, tout s’est
gâté. Margolis n’a jamais voulu lui payer les actions qu’il voulait céder. Au
contraire, il a fait pression pour que mon frère signe sans aucune contrepartie
financière et Sébastien s’est retrouvé comme dans un mauvais film, sa vie
pourrie par la peur, même s’il refusait l’idée de se laisser faire. Il a déposé
une plainte, mais le dossier n’a jamais avancé. On lui disait que le ministère
public avait changé, qu’il fallait tout reprendre de zéro. On se moquait de
lui, parfois ouvertement. On lui a même dit, quelques mois plus tard, que son
dossier s’était perdu.
À l’inverse, la plainte que Margolis a déposée contre lui
pour vol et abus de confiance ne s’est jamais perdue. De faux témoins ont
raconté des choses totalement fantaisistes, ils ont présenté des fausses
factures et la police a procédé à des perquisitions tout à fait illégales. Plus
tard, ils ont fait fermer la nouvelle société de mon frère. Sans explications.
Ils pouvaient tout se permettre, tout le monde trouvait cela normal.
Mais le pire est arrivé à la fin de l’année 2004. Un jour de
décembre, Iolany a reçu un coup de téléphone de Margolis qui les a menacés de
mort, et aussi d’enlever leurs deux enfants qui avaient alors quatre et cinq
ans. Je crois que c’est ce qui a cassé quelque chose chez Sébastien. Il a
compris qu’il était dans un monde où il n’avait rien à faire. Trop de violence,
trop de corruption. Il ne faisait pas le poids face à un type comme Margolis.
Et cet homme-là, maintenant, venait jeter son ombre sur mon
cauchemar.
— Tu n’as plus aucune chance. Il va t’enculer,
Margolis !
Ces mots-là m’ont glacée. J’ai compris qu’ils avaient trouvé
cette carte de visite en allant fouiller mon appartement. Ils avaient pris mes
clés, au moment de notre arrestation, la veille, et ils sont allés
fouiner ; j’avais dû leur donner mon adresse. Je pense à Sébastien, aux enfants.
Aux menaces de mort.
On m’emmène encore au sous-sol. Cette fois, c’est pire, un
trou à rats. C’est un long couloir avec des petites cellules infectes, trois
murs et une paroi de verre. Il y a juste deux paillasses en béton et des
toilettes à la turque, non isolées. On me pousse dans une cellule où il y a
déjà une fille et je reste là, assise au bord du lit gelé, tétanisée, comme en
état de choc. J’essaie de lui parler, mais je ne sais pas très bien ce que je
dis. Et elle voit bien comment on me traite : elle n’a pas envie de
s’approcher de moi. Un type arrive pour lui proposer de l’eau, du papier
toilettes, elle dit non de la tête, mais moi je veux bien du papier, je le dis
au gars qui me répond sans même me regarder :
— Toi, va te faire foutre !
Tout n’est que violence, ici. C’est comme ça depuis que je
suis arrivée et la peur ne m’a pas quittée. Elle étouffe tout le reste, et même
ma fierté. Je veux juste qu’on ne me dise rien, qu’on ne me regarde même pas.
Je veux qu’on me laisse tranquille, et pourtant on vient encore me chercher. Je
remonte cet escalier sinistre jusqu’à un bureau où on me demande de m’asseoir.
— Le téléphone va sonner, tu décroches.
Le téléphone sonne, en effet. J’entends une voix, au loin,
qui dit mon prénom, qui répète, qui demande ce qui se passe et je n’arrive pas
à le croire : c’est ma mère ! Comment est-ce possible ? Comment
sait-elle que je suis là ? C’est comme un miracle. J’entends sa voix, je
sens qu’elle est inquiète et je veux la rassurer, mais je ne peux pas. Rien ne
sort. Et pour la première fois, je craque. Je fonds en larmes, ce que je
n’avais pas encore fait depuis le début de cette folle histoire ;
incapable d’articuler, de me reprendre, je suis secouée de sanglots,
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