A l'ombre de ma vie
accablée
de fatigue et de peur. Si je craque maintenant, c’est sans doute parce que la
voix de ma mère me rassure, me détend un peu. J’étais trop crispée jusque-là
pour laisser échapper des larmes. Je l’entends qui me parle, qui cherche à me
réconforter, encore :
— Ne t’inquiète pas. On va te sortir de là.
Elle ne me pose aucune question. Je comprendrai plus tard
que cette confiance est extraordinaire, que c’est elle qui m’a fait le plus
grand bien, sans doute, et que moi je n’ai même pas été capable de lui dire
quelques mots pour la rassurer. Comme ce moment-là a dû être difficile, pour
elle ! J’étais si loin, elle pouvait imaginer tant de choses… et tout ce
qu’elle a entendu, ce sont mes sanglots et ce type qui m’ordonne de raccrocher,
après un moment trop court.
C’est le consul qui a prévenu mes parents. Il aura au moins
fait cela. Un peu plus tard, il viendra me voir, pour assurer le minimum,
l’assistance consulaire. Mais cela a dû lui coûter parce qu’il m’a traitée
comme une délinquante. La seule chose qu’il m’ait dite, c’est qu’il ne pouvait
rien faire pour moi, alors que Frank Berton, que mes parents prendront comme
avocat bien plus tard, me dira qu’il aurait peut-être pu obtenir ma libération
sur la foi d’une violation flagrante de la Constitution mexicaine. Dans son
article 16, celle-ci impose à l’autorité qui procède à une arrestation de
mettre « immédiatement » l’inculpé à la disposition du ministère
public. Or, entre mon arrestation et le moment où je suis arrivée au siège de
la police judiciaire ce matin, il s’est bien écoulé presque vingt-quatre heures.
Il aurait peut-être suffi que j’aie le temps de raconter cela au consul. Mais
sans doute avait-il mieux à faire. Sans doute ne s’est-il même pas posé la
question et, comme beaucoup de Mexicains devant leur télévision, sans doute
a-t-il cru à ce qu’on lui montrait. À ses yeux aussi je suis une ravisseuse
d’enfants, Florence la diabolique et, pire pour lui, Florence la Française.
C’est ainsi qu’on me considère, ici, et si j’arrive à
comprendre quelque chose, pour l’instant, c’est bien cela. Je suis redescendue
dans cette cellule sordide où la fille me jette un regard torve et sale ;
j’ose à peine la regarder. J’entends des cris, je vois passer des hommes aux
manches relevées, souvent armés, parfois encadrant des détenus abattus,
silencieux, les yeux baissés. Et soudain, c’est Israël. Il est toujours
menotté, ils le tiennent par les cheveux, le poussent, le traînent, l’emmènent.
Il ne m’a pas vue. Je reste là, immobile, harassée, comme détachée de moi-même,
indifférente et insensible à ce qui se passe autour de moi. D’ailleurs, il ne
se passe pas grand-chose autour de moi. Jusqu’à ce qu’ils ramènent Israël, une
heure ou deux plus tard. Il est encore plus mal en point. Ils l’ont encore
frappé, c’est sûr, et il vomit de nouveau, je me demande même s’il est conscient.
Et puis on entend des cris, juste après qu’ils l’ont laissé dans sa cellule.
C’est son codétenu qui s’affole. On l’entend qui crie au secours, de plus en
plus fort :
— Il s’étouffe ! Il va mourir !
Au ton de sa voix, on sent qu’il panique, on comprend qu’il
se démène. Les flics dans le couloir, là, ne bougent pas. Et c’est le silence.
Un souffle rauque, peut-être, quelques grognements, juste de quoi imaginer que
ce type vient de sauver la vie d’Israël et je me dis que je l’ai échappé belle.
On ne m’a pratiquement pas frappée.
Combien de temps me laisse-t-on croupir avec cette folle qui
me regarde en coin ? Je ne sais plus si c’est le jour ou la nuit. On vient
me chercher, je n’ai toujours pas réussi à dormir. Et ça recommence. Toujours
les mêmes questions, et encore « Déshabille-toi »,
« Tourne-toi », toujours en me bousculant, en me regardant de haut,
pour bien me montrer que je ne vaux pas grand-chose. Dans la pièce voisine,
Israël subit le même sort. Et comme à moi, on lui demande de signer un papier
que je ne parviens pas à déchiffrer. Un type me dit vaguement qu’on va
m’emmener dans une sorte d’hôtel, avec une chambre et une douche, que je vais
devoir rester là-bas. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais je suis presque
nue devant tous ces types qui passent, je me sens humiliée, j’ai l’impression
de ne plus rien valoir, je signe cette
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