A l'ombre de ma vie
un vendredi matin, accompagné d’Horacio
Garcia. Je l’attendais depuis une heure au bout du couloir, impatiente parce
que c’est forcément un moment important. Et le voilà qui déboule. Je crois
qu’il est aussi anxieux que moi, mais il ne le montre pas. Il est exactement comme
je l’imaginais. Je crois qu’en prison on développe des sens nouveaux, on fait
attention à des choses qu’on ne remarque pas à l’extérieur. Au téléphone, on
est attentif aux intonations, à la manière de dire bonjour, de passer le
combiné à quelqu’un d’autre. Et ensuite, puisqu’on n’a que cela à faire, on
pense à tout ce que l’on a entendu, on se repasse les conversations et on
s’imagine comment est l’autre, qu’on ne connaît que par sa voix. J’avais donc
deviné cette « gueule », cette force qui se dégage de lui. Il arrive
à peine, mais j’ai l’impression que je le connais depuis le premier jour. Il
est comme je le rêvais. Si on m’avait demandé comment je le voulais, mon nouvel
avocat, je crois que j’aurais fait ce portrait-là. C’est important : mon
sort dépend de lui, maintenant.
C’est moi qui assure la traduction entre mes deux avocats et
je les vois se mettre au travail immédiatement, se plonger dans le dossier qu’a
apporté Horacio Garcia, avec complicité mais chacun dans son style :
plutôt protocolaire et sobre pour M e Garcia, plus cassant et vite
ulcéré pour M e Berton.
Il est porteur d’un message de Nicolas Sarkozy. Un soutien
ferme et sans équivoque. Et il nous montre une copie de la lettre que le
président français a envoyée, comme promis, à son homologue mexicain,
« Son Excellence M. Felipe Calderón Hinojosa, président des États-Unis du
Mexique ».
Monsieur le Président,
La confiance qui caractérise nos relations personnelles
me conduit à vous entretenir d’un cas délicat et douloureux.
Mademoiselle Florence Cassez est une ressortissante
française incarcérée au Mexique depuis le 8 décembre 2005. Elle a été condamnée
le 25 avril 2008 à une lourde peine de prison pour, principalement, infraction
à la loi fédérale contre le crime organisé, enlèvement et séquestration de
personnes.
La situation de M lle Florence Cassez suscite
en France une réelle émotion.
J’ai récemment reçu sa famille qui m’a fait valoir les
éléments troublants qui existeraient dans ce dossier, notamment sur les
circonstances de l’arrestation, les témoignages à charge et la lenteur de la
procédure. L’avocat de M lle Cassez a interjeté appel de la
condamnation prononcée en première instance. Une demande de mise en liberté
provisoire est également en cours d’examen par la Cour suprême.
Je m’adresse à vous, Monsieur le Président, pour vous
transmettre l’espoir de la famille de M lle Cassez que la justice
mexicaine se prononce dans le respect de ses droits fondamentaux, en
particulier celui d’être jugée dans un délai raisonnable.
Il va de soi que les autorités françaises traiteront ce
cas dans le prolongement de la protection consulaire, dans le respect de la
souveraineté du Mexique et de l’indépendance de sa justice.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance
de ma très haute considération.
Nicolas Sarkozy
C’est le premier geste concret que l’on fait pour moi depuis
la France, mais quel geste ! J’en suis honorée. Je regarde mes deux
avocats décortiquer toute la procédure qui m’enferme ici, Garcia toujours très
calme et méthodique, Berton de plus en plus bouillant à mesure que l’autre lui
tend les pièces annotées. Quand Horacio Garcia lui apprend que ma nuit dans la
camionnette de l’AFI, juste après notre arrestation et avant le montage devant
les caméras de télévision, est une violation flagrante de la Constitution
mexicaine, Frank Berton bondit. Il se fait expliquer : l’article 16 du
texte fondateur des États-Unis du Mexique prévoit que toute personne
interpellée par les forces de l’ordre doit être présentée immédiatement aux
autorités judiciaires. Cela n’a pas été mon cas, évidemment, puisqu’il s’est
écoulé vingt-quatre heures avant qu’on m’amène à la Siedo pour y être
interrogée. La réaction de mon avocat français est immédiate :
— Nous avons ici un argument en béton : cette
violation de la Constitution est établie puisque Garcia Luna a reconnu le
montage de l’arrestation, et votre présentation le lendemain à
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