À l'ombre des conspirateurs
haussement d’épaules nonchalant. Anacrites a envie d’aller respirer l’air marin. C’est lui qui va aller lui transmettre son assignation.
— Ça m’a l’air parfait ! Conforme au scénario habituel : Anacrites va gambader chez les riches, et moi je vais me taper trois cents lieues sur le dos d’une mule ombrageuse. Tout ça pour prendre le poing de Gordianus sur la figure quand je lui apprendrai ce qui est arrivé à son frère. J’aimerais au moins que tu me le dises, Cæsar : suis-je autorisé à négocier les conditions de son retour ? Par la même occasion, j’aimerais savoir ce que tu entends par : « une faveur qu’il ne pourra pas oublier » ? Que dois-je répondre s’il me demande de l’éclairer là-dessus ? Ou m’indique ce qu’il veut ?
— Ce ne sera pas le cas, Falco. Si jamais je me trompe, fais preuve d’initiative.
— Ce que tu veux me faire comprendre, Cæsar, c’est que ma mission n’est pas vraiment officielle ? Moralité : si j’arrive à convaincre Gordianus de me suivre jusqu’à Rome, je recevrai peut-être les remerciements d’un obscur chambellan du palais ; si les choses tournent au vinaigre, je devrai en assumer les conséquences tout seul !
Les lèvres pincées, Vespasien acquiesça d’un bref signe de tête.
— C’est ce qu’on appelle la diplomatie !
— D’accord, mais je te préviens : pour ce qui est de la diplomatie, mon tarif est plus élevé.
— Oui, oui. Nous en reparlerons si ta tentative réussit. (Il croqua dans la dernière pomme, puis ajouta :) Peux-tu quitter Rome immédiatement ? Où en es-tu avec les biens de Pertinax ?
— On a fini de vider la maison de tout ce qui avait de la valeur. C’est le tour des babioles et des objets ébréchés : on en trouve dans les meilleures maisons. (Surtout dans celle de Vespasien avant qu’il devienne empereur, me dis-je.) Tout est maintenant en vente sur les tables des marchands.
— Tu obtiens des bons prix ? demanda-t-il sans parvenir à dissimuler son avidité.
J’affichai un large sourire. Pourtant, la notion impériale d’un « bon prix » était quelque chose de raide !
— Tu ne seras pas déçu, Cæsar. J’utilise les services d’un commissaire-priseur du nom de Geminus. Il me traite comme son fils.
— Anacrites prétend que tu es son fils ! lança Vespasien.
Quels que soient mes sentiments à son égard, la perspicacité d’Anacrites ne pouvait que me stupéfier. Quand mon père avait abandonné le domicile conjugal pour suivre une rouquine fabricante de fichus, je n’avais que 7 ans. Impossible de le lui pardonner, et ma mère se serait sentie mortellement insultée en apprenant que j’entretenais des relations avec lui. Je n’avais vraiment pas envie de savoir si Geminus était mon père ou non.
— Anacrites, me contentai-je de déclarer à Vespasien d’un ton sec, vit dans un monde d’illusions !
— Un des risques du métier. À propos, dis-moi donc ce que tu penses de Momus.
— En vérité, pas grand-chose.
Vespasien en conclut en bougonnant que je n’aimais personne. Dans mon état d’esprit à ce moment-là, il m’était difficile de lui donner tort.
— Quel dommage pour Longinus ! soupira-t-il.
Il s’apprêtait à mettre un terme à notre entretien. Je comprenais parfaitement ce qu’il voulait dire : n’importe quel empereur peut faire exécuter ses opposants ; mais il faut une certaine classe pour les laisser libres, avec la possibilité de mijoter un nouveau complot.
— Tu t’en rends compte aussi bien que moi ! m’exclamai-je sur un ton geignard. Gordianus va être persuadé que c’est toi qui as ordonné l’incendie criminel. Quand je me présenterai devant lui tout sourires, il me prendra pour ton bourreau personnel. Ce n’est pas le cas, au moins ? demandai-je, soudain soupçonneux.
— Si j’en cherchais un, répondit Vespasien d’un ton posé, je trouverais un assassin patenté, qui ne passe pas son temps à émettre des jugements moraux sur les autres.
Il m’avait laissé l’insulter sans réagir, comme s’il s’agissait là d’une nouveauté fort distrayante. N’hésitant pas à continuer à me moquer de lui, je m’empressai de le remercier naïvement pour le compliment.
Je quittai le palais en maudissant mon sort : la fin tragique de Longinus m’avait empêché d’obtenir une prime ! Pour rejoindre les rangs de la classe moyenne, il me fallait économiser
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