À l'ombre des conspirateurs
400 000 sesterces et les investir en bonnes terres romaines. Vespasien se contentait de me rembourser mes faux frais, en ajoutant une rémunération quotidienne dérisoire. Je ne pouvais guère compter sur plus de 900 sesterces par an, et pour vivre modestement, il m’en fallait un minimum de 1000…
10
En dépit des dangers dans les rues la nuit, je repris pedibus le chemin de la demeure Pertinax. J’atteignis le Quirinal avec rien de plus sérieux qu’un bras contusionné, après qu’un ivrogne me fut rentré droit dedans. Son sens de la direction était meilleur qu’il n’y paraissait de prime abord, car tandis que nous pirouettions de conserve, il en profita pour me soulager de ma bourse. Celle pleine de cailloux que je tiens à la disposition de ceux de son espèce…
Je hâtai le pas jusqu’à ce que plusieurs rues nous séparent, dans la crainte qu’il se lance à ma poursuite pour se plaindre.
Un règlement en vigueur dans Rome n’autorise la venue des véhicules à roues sur le Quirinal qu’une fois la nuit tombée. Quatre carrioles se trouvaient parquées devant la porte principale. Les hommes du commissaire-priseur y entassaient des lits en bois satiné de l’Orient, des buffets égyptiens recouverts d’émaux, et bien d’autres meubles. Ils glissaient ensuite des lampes dans les espaces vides. Je donnai un coup de main aux porteurs qui poussaient péniblement à travers le hall une presse à vêtements munie d’une énorme vis.
— Falco !
Gornia, le contremaître, voulait me montrer quelque chose. Nous empruntâmes un couloir rouge désert, où l’écho de nos pas résonnait étrangement. Il me conduisit jusqu’à une pièce du rez-de-chaussée que je ne connaissais pas. Nous franchîmes une porte en bois, flanquée de deux niches abritant des bustes en basalte.
— Oh ! c’est superbe !
Cette chambre, d’une sereine somptuosité, avait visiblement appartenu à une dame. Au moins cinq fois plus grande que n’importe laquelle des pièces dans lesquelles j’avais dormi, et deux fois aussi haute. Les lambris peints imitaient un marbre gris tourterelle ; le haut des murs, d’un bleu céleste, s’agrémentait d’un liseré pastel entrecoupé de médaillons. La mosaïque ornant le sol formait divers motifs dans tous les tons de gris, un espace matérialisant la place du lit. Au-dessus, le plafond abaissé formait une espèce de confortable niche réservée au sommeil.
Il restait un seul meuble, si l’on peut dire, que Gornia me désigna de la main : un petit coffre en bois exotique muni de quatre pattes rondes.
— Importé d’Orient ? Il y a une clef ?
Gornia m’en tendit une de cuivre. Il avait l’air mal à l’aise de celui qui s’attend à découvrir un bébé momifié. Je soufflai sur la poussière avant d’ouvrir.
À première vue, aucun objet de valeur. Surtout de vieilles lettres, et quelques colliers d’ambre aux perles inégales, les couleurs mal assorties. Le premier document de la pile avait bon goût. Il s’intitulait : Turbot sauce cumin.
— Rien qui puisse intéresser Anacrites. Garde ce coffre, j’y jetterai un coup d’œil à l’occasion.
Je m’attardai seul dans la chambre en mordillant ma lèvre inférieure. J’avais tout de suite identifié son occupante : Helena Justina, l’ex-femme du conspirateur.
J’aimais beaucoup cette pièce, et Helena Justina encore plus que je ne l’avais cru. Et dire que j’avais essayé de me convaincre de ne plus jamais la revoir ! Un vieux coffre lui ayant appartenu naguère me faisait battre le cœur comme à un gamin de 12 ans qui tombe amoureux pour la première fois…
À part le coffre, un chandelier massif reposait sur un grand socle doré. En agitant les rideaux, un courant d’air créait des ombres mystérieuses qui jouaient sur les murs. Ce qui attira mon attention vers une autre porte. Elle ouvrait sur un jardin privé où poussaient un figuier et un romarin. Helena devait aimer s’y faire servir une infusion le matin, et sans doute y venait-elle l’après-midi pour écrire des lettres.
Je revins à l’intérieur. Planté au milieu de cette superbe pièce, j’essayais d’imaginer à quoi elle ressemblait auparavant, encombrée de tout ce qui faisait partie de sa vie : un lit très haut, les inévitables fauteuils d’osier, les tabourets pour les pieds, des vitrines pour exposer les objets les plus précieux, des fioles remplies d’huile, d’autres de parfum ; et
Weitere Kostenlose Bücher