Abdallah le cruel
l’impôt foncier, auxquels ils étaient soumis en tant que protégés avaient, eux,
triplé, et continueraient sans doute à croître de façon régulière dans les
années à venir. Omar Ibn Hafsun ricana :
— Les Chrétiens voient-ils en
moi leur Sauveur ou leur Messie ?
— Je te l’ai dit, ils
apprécient la manière dont tu les traites. Tu sais que ceux d’Ishbiliyah ont
quitté massivement cette ville. Les plus riches sont allés à Kurtuba, les
indigents chez leurs frères du Nord. Les autres, artisans ou paysans, ont
préféré s’installer dans tes domaines, attendant le moment propice, qui ne
viendra pas, pour regagner al-Andalous. À Oviedo, ils n’ont aucune chance de
trouver à s’employer ou de se voir attribuer des terres. Ce sont des gens
honnêtes qui paient leur dû régulièrement. Quand il s’agit de lever sur les
Musulmans les taxes ordinaires, il me faut leur envoyer deux ou trois fois mes
agents pour obtenir satisfaction.
— Moi, un Musulman, fier
d’appartenir à la communauté des vrais croyants, me voilà à la tête d’un
royaume de Chrétiens !
— Je dirais plutôt à la tête de
milliers de nouveaux contribuables qui remplissent tes coffres.
— Tu ne vois que l’aspect
financier de cette question. Tu ne te soucies pas des leçons que je dois tirer
de ce constat.
À partir d’une banale plaisanterie
avec son trésorier, qui avait entraîné une longue discussion, Omar Ibn Hafsun
avait pris conscience de la dure réalité des faits, la seule qui comptât à ses
yeux. Elle l’obligeait à réviser ses plans et à changer totalement de
stratégie. Pour repousser les offensives de l’émir, souvent couronnées de
succès, il avait désespérément cherché de nouveaux alliés et avait commis
l’erreur de croire qu’il les trouverait chez ses coreligionnaires. L’un après
l’autre, les chefs arabes et berbères, à l’exception d’une poignée
d’irréductibles, avaient, sous des prétextes divers, décliné ses offres.
Désormais, l’évidence lui sautait aux yeux : c’est vers les Chrétiens
qu’il devait se tourner.
Il se méfiait de ceux qui étaient
ses sujets. Certes, plusieurs aristocrates wisigothiques qui avaient pu
conserver leurs domaines et leurs châteaux ne répugnaient pas à se battre à ses
côtés, ravis de pouvoir occire des Infidèles. D’autres aussi étaient venus
spontanément lui proposer leurs services mais c’étaient des vauriens et des
voleurs qui constituaient la lie de leur communauté. Si Omar Ibn Hafsun appréciait
leur courage, il avait la plus grande peine à leur imposer sa discipline.
L’immense masse des Chrétiens n’avait pas, c’était peu de le dire, la fibre
guerrière. Ils l’avaient amplement démontré soit en se soumettant, comme des
agneaux, aux conquérants arabes, soit en s’enfuyant des régions en proie à des
troubles où ils refusaient obstinément de prendre parti.
Non, il en était convaincu, c’était
aux Chrétiens du Nord qu’il avait tout intérêt à s’allier. À première vue,
l’affaire était plutôt ardue. Leur souverain, Alphonse III, n’était pas
aussi pacifique que son père Ordono. Il avait mené cinq ou six campagnes contre
les territoires contrôlés par Omar Ibn Hafsun, essentiellement pour s’emparer
des récoltes et faire des captifs. Le chef muwallad n’avait pas mis longtemps à
comprendre les raisons de sa soudaine agressivité. Ses espions à Oviedo lui
avaient appris qu’Abdallah finançait ces opérations destinées à l’affaiblir. Se
sentant comme un morceau de métal pris entre le marteau et l’enclume, il chercha
à se dégager de cette position inconfortable. Le seul moyen était de nouer une
alliance militaire et diplomatique avec Alphonse III, dont l’entourage
avait la réputation d’être encore plus corrompu que les foqahas de Kurtuba, ce
qui n’était pas un mince exploit !
Omar Ibn Hafsun avait donc remercié
le ciel d’avoir mis sur son chemin la veuve de Valério, cette femme d’une
laideur et d’une saleté repoussantes, venue lui vendre une information de
première importance, à savoir la véritable identité d’Alfonso. Par ses
informateurs, il avait appris que les frères du prêtre comptaient parmi les
plus proches conseillers du roi des Asturies et que l’un d’entre eux commandait
même ses fantassins. Le modeste prêtre, qui vivait dans le dénuement le plus
complet, possédait en fait un trésor inestimable, sa
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