Aesculapius
espoirs.
— Certes.
— Et si… Dieu lui-même l’avait… déjugée ?
Annette ouvrit la bouche de saisissement et murmura :
— Fichtre, mon aimé, quelle terrible imputation !
— J’en suis bien conscient, et le cœur m’en saigne, souffla son mari. Vous savez combien je l’ai toujours admirée, soutenue. J’ai tenté d’apaiser les voix qui s’élevaient. Toutefois, sa qualité de femelle n’arrange rien.
— À l’évidence, compatit Annette.
— Certains se demandent si le baron Herbert n’est pas notre ultime recours.
— Madame Béatrice entrerait dans une rage folle si elle apprenait que nous souhaitons nous remettre entre les mains de son suzerain direct. Cela reviendrait à la déchoir de ses pouvoirs en sa terre.
— De fait. Cela étant, allons-nous continuer à tolérer ces épouvantables massacres ? Quoi qu’il en soit et avant de me rendre aux avis des autres, il me… nous faut en avoir le cœur net, ma tendre. Il a été suggéré que vous pourriez nous être de grande aide.
— Moi ?
— Si fait. Notre bonne Clotilde, qui n’est pas sotte, et avec qui vous avez gardé de plaisantes relations, a dû remarquer si quelque chose de… dévoyé 11 , de trouble, se passait au château. Cette étrange Igraine, par exemple ? Qui est-elle ? Quelle influence possède-t-elle sur la baronne ? Nous vous supplions donc d’interroger notre ancienne servante avec toute la… subtilité qui est vôtre. Que Clotilde ne se doute pas un instant que vous pêchez des informations.
— Je m’y emploierai, et avec zèle, car si la baronne Béatrice en avait vent, je n’ose imaginer jusqu’où irait sa colère. Clotilde passe souvent au village afin d’approvisionner le château en denrées fraîches.
Jean le Sage vida son gobelet de vin d’un trait pour se resservir aussitôt. Un geste qui étonna Annette autant qu’il l’alarma. Si son époux n’avait jamais boudé les plaisirs terrestres, la tempérance faisait, selon lui, partie de la dignité que nul ne devait jamais abandonner. Elle attendit. Il sembla chercher ses mots, puis :
— Ma mie, avez-vous rendu visite à Séraphine depuis… son attaque ?
Un peu étonnée par la question, Annette s’exclama :
— Certes ! Je lui ai porté une bonne part de longe de porc rôti au vin rouge qui nous restait, sans oublier un gros morceau de tarte blanche 12 pour lui alléger un peu l’humeur. Quand était-ce… Le lendemain de votre entretien avec elle. Mon Dieu… Quelle pitié ! En dépit des remarquables potions et onguents de Lubin Serret, notre bon apothicaire, elle restera défigurée à vie.
— Comment l’avez-vous jugée, à part cela ?
— Silencieuse, pour ne pas dire éteinte. Je me suis lancée dans la narration de menues choses pour la dérider, en vain. Elle ne répondait que par monosyllabes et hochements de tête. À dire vrai, et sans médisance, j’ai eu le sentiment que ma présence lui pesait un peu, et suis repartie bien vite en la pressant de me faire prévenir si elle se sentait le besoin de moi.
Son époux la contemplait avec une étrange insistance.
— J’entends bien… Ma tendre, j’ai une question embarrassante à vous poser…
— De grâce, faites. Rien de vous ne m’encombre.
— C’est que… je m’en voudrais de… heurter votre belle sensibilité.
— Vous m’effrayez, mon doux.
— Annette, avez-vous le sentiment qu’elle dit véritable ?
— Votre pardon ?
— Lorsque Séraphine affirme avoir été attaquée par cette… monstruosité… selon vous, est-ce sincère ?
Sidérée, la jeune femme chuchota en jetant un regard apeuré autour d’elle :
— Vous pensez qu’elle pourrait mentir… ou alors qu’un délire lui aurait troublé l’esprit ? Mais… Ces affreuses griffures qui lui ont emporté la moitié du visage, qui strient son cou, ses bras d’affreuse façon…
— Elle aurait pu se les infliger dans une crise de démence ou alors une bête, normale, aurait pu l’attaquer. La peur aidant, elle se serait alors raconté une fable à laquelle elle aurait fini par croire, se justifia son époux.
En pleine déroute, Annette bafouilla :
— En ce cas, ne serait-elle pas folle ?
— Pas nécessairement. Certains êtres, de faible sens, finissent par se faire accroire à eux-mêmes tant de contes à dormir debout. Ce qui m’étonne, voyez-vous, ma tendre… c’est qu’une femme seule, qui n’est plus dans sa prime
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