Aesculapius
baron, son époux, trois ans plus tôt.
— C’est que, si je puis me permettre… intervint Thierry Lafleur, elle…
Le reste se perdit dans un chuintement pénible.
— Poursuivez, mon bon, l’encouragea Jean le Sage. Nous sommes entre nous et j’en profite pour rappeler à tous ici que ce qui s’échange dans cette pièce est strictement secret, sous peine d’expulsion définitive de notre assemblée et de représailles. C’est le prix à payer afin de préserver notre sincérité à tous, sincérité qui a amplement prouvé qu’elle nous permettait de résoudre nombre de problèmes et d’aider ainsi notre communauté.
Reprenant du poil de la bête, Lafleur finit par lâcher :
— Que sait-on au juste de cette Igraine sur laquelle d’inquiétantes rumeurs circulent ? Que sait-on de sa véritable influence sur la baronne, qui s’entoure depuis deux ans de gens… insolites 5 , étrangers à notre village et même aux bourgades avoisinantes ? On ignore d’où ils sortent et certains parlent avec de bien curieux accents, si m’en croyez !
— Il est vrai, admit Jean à contrecœur. Mais que faire, que faire ? répéta-t-il.
— Moi, j’dis qu’y faut s’en remettre au baron Herbert ! asséna Agnan Mortabeuf. Faut y expliquer la vraie vérité sur not’ condition.
— Je doute qu’il nous écoute d’une oreille complaisante, au risque d’entrer en délicatesse politique avec sa tante Béatrice. À moins que nous ne puissions étayer notre requête, supplique, d’arguments fort solides, observa Jean le Sage. Or, je me répète, mais sur l’heure, hormis les tentatives infructueuses de la baronne, tout autant que celles du bailli du seigneur Herbert…
— Votre fidélité envers elle vous fait honneur, messire Jean, l’interrompit Thierry Lafleur. Toutefois, vous devrez un jour vous rendre à l’évidence. Quant au reste, je suis en accord avec Mortabeuf : il nous faut convaincre le baron ordinaire Herbert de nous sauver, et tant pis si elle est contrainte au couvent ! Après tout, c’est le choix de moult dames nobles à leur veuvage. Comprenez, il ne s’agit pas de politique ni de rivalités entre seigneurs. Il s’agit de notre survie, de celle de nos familles.
Un court silence s’installa, chacun pesant les mots des autres.
— Vot’ bonne Clotilde a bien rejoint la domesticité de la baronne ? intervint Michel Jacquard, dit maître Limace, qui n’avait pipé mot jusque-là.
Nouveau venu dans leur communauté, cet ancien coutillier 6 balafré qui avait parcouru le monde était devenu leur aubergiste en rachetant le Fringant Limaçon 7 . Il impressionnait par sa carrure de lutteur de foire et sa voix de stentor. Aussi le sobriquet de Limace qu’il devait à son enseigne ne le gênait-il pas le moins du monde. À moins d’être bien saoul ou bien fol, nul n’aurait songé à en ricaner, du moins en sa présence.
— Si fait, et ma douce mie Annette regrette toujours son départ là-bas, confia messire Jean. Cependant, elle ne rajeunissait pas et ses membres du bas la malmenaient. Les tâches qu’on lui confie au château sont moins âpres que celles dont elle s’acquittait à merveille chez nous. Que voulez-vous… je ne puis lui en tenir rigueur. Annette non plus.
Maître Limace reprit :
— Une aut’ preuve de votre générosité, messire Jean. En causant d’arguments afin de convaincre le baron Herbert, j’me demandais… mais c’est p’être ben fourbe… j’me demandais si Clotilde aurait pas remarqué… des choses… inhabituelles, pas chrétiennes au château…
— Vous voudriez qu’elle espionne la baronne Béatrice pour notre compte ? s’inquiéta Jean.
— Euh… bien grand mot, bien grand mot, se défendit Michel. Évoquons plutôt què’ques indiscrétions, pas d’quoi fouetter un chat…
— C’est qu’vous connaissez mal la baronne. Il lui en faut ben moins que ça pour faire fouetter un homme, intervint Agnan.
Tous acquiescèrent d’un hochement de tête. Nicol Paillet, le maître fèvre, résuma la pensée de tous d’un pesant :
— Nul ici n’serait assez benêt pour provoquer la colère de la baronne Béatrice. Or, pour c’qu’est d’la fureur… elle a pas son pareil ! Dommage que ç’ait pas eu d’effet sur la… chose. L’en demeure pas moins qu’on peut pas rester l’cul planté avec cette horreur qui court la campagne. Faut agir ! J’doute pas qu’la baronne se soit démenée. Mais ça a
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