Aesculapius
donc, comment peut-on affirmer qu’elle était seule et crachée par l’enfer ? Quant à moi, de vos dires à tous, nulle certitude ne s’impose à mon esprit.
Léon ne s’en laissa pas conter et lança du même ton exaspéré :
— La statue de saint Ouen pulvérisée et le crucifix d’argent de père Henri disparu ! Comment une bête, aussi rusée soit-elle, aurait-elle pu se rendre coupable de tels actes ? Et vous n’y voyez rien de surnaturel ?
— La statue ? Un être bien de ce monde peut l’avoir brisée. Quant au crucifix d’argent, voilà un objet fort monnayable. Qui dit qu’un voleur de chemins n’a pas découvert avant tout la dépouille du prêtre ?
— Et il n’aurait prévenu personne de sa macabre trouvaille ?
— Pas si le crucifix le tentait. Certains détails m’intriguent. Comment expliquer qu’une créature, si malfaisante et féroce qu’elle déchiquette et défigure ses proies, si puissante qu’elle peut attaquer deux hommes vigoureux d’un coup, rattraper l’un alors qu’il tente de fuir, ne poursuive pas une pauvre femme, Séraphine, blessée et empêtrée dans ses jupes ? La Bête a-t-elle été dérangée ? Quelqu’un d’autre est-il arrivé sur les lieux ?
Un silence accueillit cette déclaration. Léon, défendant toujours sa conviction, le rompit en assénant :
— Elle a préféré dévorer la mule.
— Voilà qui m’étonne, contra le jeune mire.
— Pourquoi cela ? intervint Igraine.
— La baronne Béatrice n’a-t-elle pas affirmé plus tôt qu’après avoir attaqué des bêtes, la… créature s’en était prise aux humains ? Ainsi, elle n’a pas étripé le chien de ce jeune berger, ce Robert. Peut-être le goût de l’homme lui a-t-il fait passer celui des animaux ?
— Il est vrai, admit le géant à contrecœur, que l’on n’a plus rapporté de carnages parmi les troupeaux.
— Or donc, pourquoi aurait-elle… préféré cette mule à Séraphine ? Il me faut décidément l’interroger, ainsi que ce Gaston le Simplet dont vous avez mentionné le témoignage.
— Léon vous accompagnera au village dès le demain, asséna la baronne. Sa présence devrait calmer les réticences. Votre galopin demeurera au château pour le cas où des envies de fuite vous prendraient. N’omettez pas de visiter Jean Lemercier, dit le Sage. Il est homme avisé et peut vous ouvrir des portes qui, sans lui, se claqueraient. Il a le respect et la confiance de tous et jouit de mon estime.
Elle se leva, aussitôt imitée par les autres.
— Nous en avons terminé pour ce soir, mire. Léon va vous raccompagner en vos… appartements.
Lorsque Léon parvint au seuil de l’ouvroir, Évrard Joliet descendait l’escalier de pierre. Il parut hésiter, joignant ses mains aux doigts tachés d’encre de couleurs vives, ne sachant s’il devait s’effacer afin de laisser passage aux deux autres ou se hâter de dévaler les marches. Il salua le géant et jeta un regard curieux à Druon en expliquant d’une voix apeurée :
— Je rejoignais mes appartements, messire Léon.
— Bonne nuit.
— Grand merci. Vous également, le remercia l’homme qui semblait à peine sorti de l’adolescence et que le jeune mire fascinait.
Druon remarqua que Léon ralentissait l’allure pour donner à l’autre le temps de les distancer dans l’escalier. L’homme de confiance de la baronne grommela juste :
— Le bibliothécaire. Il est aussi copiste. Une assez jolie main. Plutôt plaisant à ceci près que l’on dirait toujours une souris qui vient de se faire prendre la queue dans un piège.
Ils descendirent à leur tour, sans plus échanger un mot. Quelle ne fut pas la surprise de Druon lorsqu’il découvrit une Igraine souriante les attendant devant la porte de leur confortable prison souterraine. Amusée, elle le détrompa :
— N’y voyez nul tour de magie, mire. Les épais murs de ce château sont sillonnés de passages, permettant aux habitants de s’échapper en cas d’invasion ennemie. J’ai oublié… Je devais vous prévenir… Une femme que vous connaissez se rapproche de vous. Prenez garde, elle est aussi belle que malveillante et déterminée.
— Mais que…
— Je n’en sais pas davantage.
La mage tourna les talons et s’éloigna malgré les protestations de Druon.
Igraine, assez satisfaite, remonta vers ses appartements en empruntant cette fois l’escalier de la tour. Lorsqu’elle déboucha dans le couloir
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