Aïcha
murmura-t-elle. C’est une affaire de guerre, et ici, dans Madina, les bouches s’ouvrent à tout-va. Les secrets disparaissent plus vite qu’une goutte d’eau au soleil.
Je me moquai d’elle :
— Alors, comment l’as-tu appris, ce secret ?
Barrayara roula des yeux, comme si ma question était une insulte à son intelligence et à son habileté.
— Tu n’as pas besoin de le savoir… Ne fais pas la sotte. Tu sais très bien ce qu’il en est.
Elle appuya son reproche d’un lourd regard. Elle avait raison. Quoique jamais je n’en ai eu la preuve, je soupçonnais à quelle source elle s’abreuvait. Ses informations étaient toujours si complètes qu’elles ne pouvaient provenir que de mon père. Il ne lui refusait rien. Outre la confiance aveugle et l’affection qu’il portait à sa fidèle nourrice, peut-être souhaitait-il, de cette manière subtile et détournée, que sa fille Aïcha ne reste pas dans l’ignorance ?
L’épouse de l’Envoyé pour tenir sa place ne devait-elle pas en savoir plus que les femmes de Madina ?
Donc, me tenant serrée contre elle, Barrayara chuchota tout bas pour que les mots ne puissent porter plus loin que mes oreilles.
Depuis la bataille de Badr, les Mekkois n’osaient plus commercer avec Ghassan et les pays du Nord. Les routes ordinaires menant à Tabouk et au pays de Judée passaient trop près de Madina. Le souvenir de Badr et de la puissance des guerriers d’Allah les en dissuadaient.
Un jour, pourtant, après bien des hésitations et pour tenter de sauver le commerce réputé de leur cité, les Mekkois s’étaient décidés à emprunter la route de l’Est conduisant à la frontière des pays perses. Elle traversait le désert du Nadj, était deux fois plus longue, et il était aisé de s’y perdre. Enfin, les marchés d’Al Hira et de Ctéziphon ne leur étaient pas familiers. Mais avaient-ils le choix ?
Abu Sofyan et ses sbires prenaient grand soin de tenir secret le départ de leurs précieuses caravanes. Au point que, malgré ses espions, Abu Hamza apprenait leurs déplacements trop tard. Les caravanes étaient alors loin dans le désert, impossibles à rejoindre et à soumettre à une razzia.
Que la clémence d’Allah soit bénie dans l’éternité ! Dieu avait décidé de retourner le sort. Le matin même Abu Hamza avait reçu la nouvelle : d’ici quatre jours, une caravane quitterait Mekka par la route de Taïf et de Narjan. Elle compterait plus de soixante bêtes aux paniers remplis de denrées précieuses provenant de Sanaa et de Ma’rib.
— La route de Taïf et de Narjan est un leurre, annonça Abu Hamza. Avant d’atteindre Taïf, les convoyeurs bifurqueront vers l’est, en direction du Nadj et de Jabala. Les Mekkois ont loué les services d’un guide afin de ne pas se perdre. Et voici notre chance : Abu Sofyan sera du voyage. Les richesses qu’il convoie sont trop considérables pour qu’il les quitte des yeux. Mais comme il ne veut pas attirer l’attention, il ne sera protégé que par une petite troupe d’hommes en armes. Trente ou cinquante. Pas davantage.
Après avoir entendu chacun de ses compagnons, Muhammad prit sa décision avant la prière de l’après-midi. Une centaine d’hommes en cuirasse ou cotte de mailles mèneraient la razzia. Zayd en assurerait le commandement, et Talha serait son second.
Aussitôt, une discussion s’engagea :
— Il nous faut au moins une vingtaine d’hommes à cheval, exigea Abu Hamza. Les montures de guerre prises aux Banu Qaynuqâ y suffiront aisément.
Omar s’y opposa :
— Zayd devra mener sa troupe à un train d’enfer. Cinq jours et autant de nuits sans se lever de selle, ce sera le prix pour attaquer les Mekkois dans la montagne. La surprise sera plus grande et le combat plus aisé que dans le désert. Les chevaux ralentiraient nos hommes. La chaleur est encore trop forte pour eux : s’ils ne crèvent pas en route, ils seront trop fatigués pour la razzia. Et s’il faut les ménager, les Mekkois atteindront le désert avant que Zayd ne les rejoigne.
La sagesse d’Omar ibn al Khattâb dans les affaires de guerre était reconnue. Zayd prenait soin de montrer une grande considération envers les uns et les autres, car plus d’un grimaçait de le voir si bien traité par l’Envoyé, lui qui n’était qu’un fils adoptif. Mais toujours il manifestait d’abord son respect à Omar. Il déclara qu’il préférait n’avoir que des guerriers sûrs et
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