Aïcha
poussaient leurs méharis sur la route de Mekka :
— Ibn Aschraf, va combattre si ça te chante ! crièrent-ils. Tu deviendras un héros dans l’autre monde. Si les guerriers d’Allah sont dans les parages, c’est qu’ils veulent te couper le cou. La surprise sera pour toi. Nous, nous sommes venus pour le butin. Et tout ce que tu nous proposes, c’est un plat de dattes avant de goûter aux nimcha forgées par les Banu Qaynuqâ ?
Ibn Aschraf, fou de rage, vida son sac d’insultes et tenta de s’opposer à la fuite de ses mercenaires. Mais ils étaient presque deux cents contre lui. Les fous de Mekka s’assagirent :
— Ibn Aschraf, tu n’as jamais conduit un combat et tu veux lutter contre ceux qui ont vaincu mille Mekkois alors qu’ils n’étaient que trois cents ? Aurais-tu perdu la raison ?
Ibn Aschraf n’eut d’autre choix que de les maudire et de les suivre. Dans leur hâte à rebrousser chemin, ils abandonnèrent trois des chamelles portant leurs maigres provisions.
À la nuit, mon époux poussa la porte de ma chambre. Il vint droit à moi pour me caresser le visage, le scruter comme s’il y cherchait quelque chose de bien peu visible. Je m’en trouvai intimidée. Devais-je l’enlacer, me serrer contre lui ou me maintenir à cette distance pas bien grande, mais qui faisait de moi une fille maladroite plus qu’une épouse ?
Finalement, il déclara :
— Ainsi, tu avais compris. Tu avais deviné. La bonté d’Allah envers toi n’a pas de bornes.
J’étais trop émue pour lui répondre.
Il n’en dit pas davantage. Plus tard, alors que je bavardais avec Talha, j’appris que mon époux avait annoncé à tous ses compagnons :
— Cette affaire des sawiq et la lâcheté de ceux de Mekka, Aïcha mon épouse a su qu’elle allait advenir avant nous tous. Je lui ai confié la traîtrise du fils des Banu Nadir et les nouvelles que nous avions des païens de Mekka. Elle m’a répondu : « Mon bien-aimé, pourquoi creuser tes rides ? Demain, Zayd et Talha reviendront. Ils n’auront vu sur les routes de Mekka que des scorpions sans dards ni pinces. » Abu Bakr, ta fille en vaudra bientôt dix comme nous !
Je n’écrirai pas ici tout le bonheur et la fierté que j’eus à entendre ces mots. Puisse Allah le Clément et Miséricordieux me pardonner l’orgueil qui m’enflamme le coeur rien que d’y resonger.
En vérité, Il sut sans tarder et à Sa manière me rappeler la place qui était la mienne.
L’orgueil et l’assurance
1.
Derrière leurs rires et leurs moqueries, Zayd et Talha se montrèrent contrariés d’avoir manqué l’occasion d’un combat contre les idolâtres de Mekka. Talha, tout particulièrement, ne put cacher sa grande frustration. Lui qui n’avait pas combattu à Badr ni dans aucune véritable bataille s’impatientait de prouver sa bravoure et son habileté à l’épée, qu’Omar ibn al Khattâb lui-même prétendait admirer. Les guerriers qui les avaient accompagnés avec l’espoir de s’en prendre à ibn Aschraf éprouvaient la même déception. L’amertume de ses hommes parvint aux oreilles d’Omar. Il en plaisanta devant l’Envoyé. Mon époux questionna Zayd, qui lui confirma les propos d’Omar. Et c’est ainsi que, du haut de son escalier de prêche, l’Envoyé annonça que cette « affaire des sawiq », comme il l’appelait désormais, compterait autant qu’un véritable combat au jour du jugement d’Allah.
Au sortir de la mosquée, je vis les sourires moqueurs des vieux compagnons du Messager. J’entendis les persiflages des épouses de ceux qui avaient vaincu à Badr. Je ne doutai pas un instant de la fureur de Talha lorsqu’il les surprendrait à son tour.
Le soir, quand Muhammad posa les yeux sur moi dans la lumière des lampes de ma chambre, il devait rester dans mon regard et sur mes traits un peu de ces grimaces et de ces méchancetés qu’il m’avait fallu voir et écouter. Mon époux, qui savait saisir le vol d’un papillon, s’en soucia. Il m’en demanda la cause. Je me trouvai sotte d’être aussi aisément devinée. Je protestai et voulus évincer la question. L’heure était aux plaisirs, aux tendresses et au repos. Mon époux n’insista pas. Mais il était ainsi fait que jamais il n’oubliait une pensée qui lui était venue.
Au matin, alors que je versais l’eau de ses ablutions dans le petit bassin de cuivre où il se trempait le visage, il me demanda :
— Dis-moi ce qui
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