Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
s'habituer à une telle obscurité.
L'édifice abritait les souvenirs de la guerre d'Homère, l'épopée d'un siège de dix ans face aux murs que les dieux avaient élevés. Ces objets, vieillis par le temps, portaient une dédicace, une inscription: on pouvait admirer la cithare de P‚lis et les armes d'Achille, notamment son grand bouclier historié.
Alexandre embrassa du regard le sanctuaire, s'attardant sur les vestiges que des mains invisibles avaient conservés dans tout leur éclat, au cours des siècles, pour la dévotion et la curiosité des fidèles. Ils étaient fixés aux colonnes, aux poutres du plafond, aux murs de la cellule. Mais qu'y avait-il de vrai en eux ? N'étaient-ils pas en partie le fruit de la ruse des prêtres, I de leur avidité ?
Au milieu de tout ce fatras, qui évoquait une accumulation de marchandises~ plus que le mobilier d'un sanctuaire, seules sa passion pour le poète aveugle et son admiration pour ses
héros, réduits en cendres par le temps et par les innombrables I l
événements survenus entre les deux rives des Détroits, étaient vraiment sincères.
Il s'était présenté à l'improviste, comme jadis son père Philippe dans le temple d'Apollon à Delphes, et personne ne5 l'attendait. Entendant un pas léger, il se cacha derrière une colonne, non loin de la statue du culte--une image impres~ sionnante d'Athéna, sculptée dans la roche, peinte et munie d'armes de métal. C'était une idole raide et primaire, creusée dans un unique bloc de pierre sombre; ses yeux de nacre res sortaient dans ce visage noirci par les années et par la fumée des lampes votives.
Une jeune fille, vêtue d'un péplos blanc, les cheveux tirés sous une coiffe de la même couleur, s'approcha de la statue, un petit seau dans une main et une éponge dans l'autre.
Grimpant sur le piédestal, elle entreprit de nettoyer la sta tue, répandant sous les hauts chevrons un parfum pénétrant d'aloès et de nard.
Alexandre la rejoignit d'un pas feutré et lui demanda:
" qui es-tu ? "
Sursautant, la jeune fille laissa tomber son petit seau, qui rebondit sur le pavé et roula au pied d'une colonne.
" N'aie pas peur, la rassura le souverain. Je ne suis qu'un pèlerin soucieux de rendre hommage à la déesse. Et toi, com ment t'appelles-tu ?
--Mon nom est Daunia, je suis une esclave consacrée o, répondit la jeune fille, intimidée par Alexandre qui, contrai rement à ce qu'il afffirmait, ne ressemblait aucunement à un pèlerin.
On voyait en effet son armure et ses jambières briller sous son manteau et son ceinturon en maille métallique cliquetait à chacun de ses mouvements. " Une esclave consacrée ? On ne le dirait pas. Tu as de beaux traits aristocratiques et un regard très fier.
--Tu es peut-être habitué à la vue des esclaves consacrées d'Aphrodite, qui sont d'abord esclaves de la convoitise des hommes.
--Pas toi ? interrogea Alexandre en ramassant le seau.
--Je suis vierge. Comme la déesse. N'as-tu jamais entendu parler de la cité des femmes ? C'est de là que je viens. "
Son accent était très particulier, le souverain n'en avait jamais entendu de pareil.
" J'ignorais qu'il existait une telle cité. O˘ se trouve-t-elle ?
--En Italie. Elle se nomme Locres, et son aristocratie est uniquement féminine. Elle a été fondée par cent familles, qui toutes descendaient de femmes qui avaient fui la Locride, leur patrie d'origine. Elles étaient veuves et s'étaient, dit-on, unies à leurs esclaves.
--Et pourquoi vis-tu ici, si loin de ta patrie ?
--Pour expier une faute.
--Une faute ? quelle faute a bien pu commettre une per sonne aussi jeune que toi ?
--Il ne s'agit pas de moi. Il y a mille ans, la nuit o˘ Troie tomba, Ajax d'Oilée, notre héros national, viola la princesse Cassandre, fille de Priam, ici même, sur le piédestal o˘ repo sait le Palladion sacré, la miraculeuse image d'Athéna tombée du ciel. Depuis lors, les Locriens paient ce sacrilège en offrant deux jeunes filles de la meilleure noblesse pour servir un an dans le sanctuaire de la déesse. "
Alexandre secoua la tête comme s'il n'en croyait pas ses oreilles. Il balaya la pièce du regard tandis que le dallage du temple résonnait sous les sabots de nombreux chevaux: ses compagnons étaient arrivés.
Un prêtre entra. Comprenant aussitôt à qui il avait affaire, il s'inclina devant le souverain et dit:
" Bienvenue, puissant seigneur. Je regrette que tu ne nous aies pas avertis: tu aurais eu droit
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