Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
soldat qui avait pris Péritas en laisse s'accroupit dans l'herbe près du molosse. La nuit s'écoula sans emb˚che, et le sommeil de Péritas ne fut troublé que par le passage de plusieurs animaux sauvages dans la steppe silencieuse. Il dressait alors les oreilles et pointait le nez dans leur direction.
Personne ne sut ce qui se produisit cette nuit-là, si un fils d'Alexandre fut conçu dans le sein de cette reine pour gran dir comme un cheval sauvage, courir dans ces étendues soli taires, pauvre et libre, sous l'oeil du soleil et sur les ailes du vent.
Le roi revint avant que le jour se lève, les yeux brillant d'une lumière intense et fébrile, comme s'il descendait de l'Olympe.
L'armée se remit en marche vers l'ouest et atteignit un fleuve qu'Alexandre voulut descendre car il était curieux de savoir s'il se jetait dans l'Océan septentrional. Mais au bout de trois jours de marche, la steppe se transforma en désert et le fleuve se tarit dans ses sables enflammés. Alors la troupe continua son chemin vers l'ouest, parcourant quatre étapes de cinq parasanges avant de trouver un nouveau cours d'eau, qu'elle descendit également. Cette fois encore, il fut englouti par les crevasses causées par la terre assoiffée.
Ptolémée rejoignit le roi, qui scrutait d'un air inquiet l'hori zon, brouillé par les reflets de la chaleur. Il posa une main sur son épaule et lui dit: " Rebroussons chemin, Alexandre, il n'y a plus rien là-bas, à
l'exception des cauchemars causés par le climat. Si la terre avale les fleuves avant même qu'ils ne puis sent se jeter dans la mer, c'est sans doute en vertu d'une ter rible raison qui nous échappe. Une mère pourrait-elle dévorer son fils après l'avoir mis au monde ? "
Callisthène observait, lui aussi, ce phénomène déconcer tant. Ses connaissances en matière de physique et de philoso phie lui suggéraient des réponses que la peur effaçait aussitôt en jaillissant du plus profond de son esprit.
" C'est justement à ces questions que j'aimerais trouver des réponses, Ptolémée, répliqua le roi sans se retourner. Si mes forces me le permettaient, je voudrais suivre les formes illu soires de ces cauchemars, de ces spectres qui peuplent l'hori zon. Ulysse eut la chance d'entendre le chant des sirènes, alors qu'il était attaché au m‚t de son navire, mais il ne révéla jamais la teneur de ce chant. Il emporta son secret dans sa tombe en un lieu lointain et caché, là o˘ le poussèrent les vati cinations de Tirésias, ce but si longtemps recherché de son dernier voyage... "
Ils se remirent en chemin vers le sud. Au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient des hauteurs de la Margiane, l'eau et la végétation, les plantes et les animaux réapparurent. Sur la rive d'un fleuve, le roi fonda une autre ville, qu'il appela Alexandrie de Margiane.
Il y installa les peuples semi-nomades qui vivaient dans les environs ainsi qu'une partie des hommes et des femmes de sa suite. Il y laissa une garnison de cinq cents Macédoniens, Grecs et Thessaliens, unis à des femmes asia tiques qui marchaient avec une incroyable constance dans le sillage de l'armée. Les hommes qu'il cantonna semblaient avoir oublié les familles qui les attendaient dans leur patrie, et perdu la mesure du temps écoulé depuis leur départ.
Il parvint à Bactres vers la fin de l'automne pour y passer }'hiver. Il ordonna que le procès de l'usurpateur Bessos s'y déroule selon le rite perse. Oxathrès rassembla le conseil des
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juges anciens et fit comparaître le prisonnier- devant eux. Les mutilations qu'il lui avait infligées la nuit de sa capture, dans la campagne qui s'étendait autour de Kurushkhat, avaient cicatrisé, mais elles lui donnaient un aspect encore plus inquiétant, de mort vivant.
Le procès dura peu de temps, et quand on demanda à Bessos s'il entendait se disculper, il ne prononça pas le moindre mot. Il se dressa avec dignité
devant ses ennemis, lui qui avait voulu sauver l'honneur de l'Empire perse, humilié par la double défection de Darius, lui qui avait tenté de repousser l'envahisseur.
Le verdict fut émis, et il était terrible: il sanctionnait l'as sassin de la personne- sacrée du roi et l'usurpateur du trône des Achéménides.
L'écartèlement.
Bessos fut déshabillé et conduit dans un lieu destiné depuis longtemps à
l'exécution de cette sentence. Deux saules, longs, minces et assez proches, étaient
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